Quoi? Mais t’as tellement l’air bien.

Mettons d’abord les choses au clair: quand on vous dit, étonné, que vous avez l’air «si bien», on n’est pas en train de vous admirer. Nenni. On s’étonne tout simplement que vous soyez debout ou que vous portiez du rouge à lèvres ou peut-être même que vous soyez jolie et aimable. Ce qu’on est en train de vous dire, c’est: AH BON! MAIS OÙ EST TON FAUTEUIL ROULANT?

Vous vous attendiez à quoi?

Quoi? Mais t’as tellement l’air bien!

Si vous avez la forme cyclique (ou récurrente-rémittente) de la sclérose en plaques (SP), vous avez probablement entendu ce genre de commentaire. Au fait, il n’est pas réservé aux gens qui ont la SP, mais à tous ceux et celles qui souffrent de maladies chroniques qui ne sont pas apparentes. «Mais vous avez tellement l’air bien», c’est ce que vous risquez d’entendre après avoir révélé votre terrible, quoique mystérieuse, condition. 

Y a-t-il quelque chose dans une maladie comme la sclérose en plaques qui rend ses victimes exceptionnellement attirantes? Ne vous méprenez pas: je veux bien qu’on me parle de ma belle apparence et de mes cheveux magnifiques, mais le commentaire ci-dessus n’est pas un compliment. Il sent trop la méfiance. On doute de votre parole.

Un jour, on m’a même demandé: «Êtes-vous sure que c’est la sclérose en plaques? Vous n’avez pas l’air malade». J’ai été tentée de répondre: «Et pourtant vous n’avez pas l’air con», mais non, elle avait parfaitement l’air. (Elle portait des Crocs.) Quand on me fait ce genre de remarque, j’ai l’impression qu’on m’accuse de frimer. Ou d’être paresseuse. Qu’on me dit: «Tout est dans votre tête, espèce de chialeuse»! Soyons réalistes, c’est tout ça qu’on nous dit quand on nous dit «Mais, t’as tellement l’air bien!» Encore et encore, on doit fournir des preuves que nous souffrons réellement. 

Je déteste cette phrase.

Je pourrais énumérer toutes les façons invisibles dont la SP me touche

J’en ai déjà trop dit à cette inconnue curieuse. Mais il n’y a rien que je peux dire qui va sensibiliser le monde à ma condition. Et pourquoi faudrait-il qu’il le soit? Il y a des millions de catastrophes chaque jour, et personne ne peut toutes les comprendre ou se sentir touché par toutes. Ce serait épuisant et émotivement insupportable. Le mieux que je peux faire est d’accorder à ces curieux le bénéfice du doute. Peut-être qu’ils ne savent pas et veulent apprendre, ou peut-être pas. Et ce n’est pas grave. 

Pourquoi faudrait-il que les gens comprennent que nous nous sentons pitoyables, de toute façon? Qu’est-ce qui nous pousse à essayer de prouver que nous sommes vraiment malades alors que la plupart du temps nous faisons tout pour passer pour des gens «normaux»? Parce que c’est frustrant quand les autres ne peuvent pas voir ou comprendre les limites de la SP. Et parce que cela a des implications matérielles. La dernière chose dont on a besoin quand on se bat, c’est du regard sceptique d’un imbécile. Et quand ce regard vient d’amis, de la famille ou de collègues, c’est encore pire. Ce doute constitue un double affront qui fait mal.

Et puis il y a nos propres jugements malsains

Dans ce regard, je vois la réflexion de mon propre doute. Mes symptômes ne sont pas plus visibles pour moi que pour vous. La plupart du temps je me dis que si je faisais un effort, je pourrais marcher ces 200 mètres de plus. Je pourrais aussi nettoyer la baignoire, préparer le diner, conduire la voiture (je plaisante, les amis, je suis légalement aveugle). Nous sommes les plus durs avec nous-mêmes. Pendant que vous pensez que nous ne faisons pas assez d’efforts, nous pensons que vous avez peut-être raison. Nous ignorons sans cesse les messages que notre corps nous envoie et nous essayons de nous rallier.

Physiquement, nous devons lutter chaque jour pour préserver nos forces, et mentalement, nous devons nous battre pour avoir la volonté de faire ce que nous avons l’air de pouvoir faire. Parce qu’on n’a pas l’air malade. Mais nous devrions nous dire à nous ce que nous aimerions faire comprendre aux autres. 

La SP est une réalité. Et elle est dure.

Si vous amenez quelqu’un à comprendre que votre réalité ne coïncide pas avec l’air que vous avez et que cette personne veut sincèrement en connaitre davantage sur la SP, heureusement, c’est très facile (un indice: Google). On ne devrait pas vous mettre de pression pour que vous expliquiez en détail votre vie avec la SP. Personne ne peut exiger de vous une explication sur quelque chose d’aussi personnel. 

Nous sommes tous curieux et nous portons tous des jugements. Faisons preuve de compassion. Et avant de porter un jugement désinvolte sur ce que nous ne connaissons pas, demandons-nous comment nous pourrions en savoir plus. Nous n’avons aucune idée des batailles que les autres mènent, tout comme ils ne peuvent pas voir les nôtres.

Ça ferait du bien d’entendre «ça ne doit pas être facile». Une simple marque de compassion. La sclérose en plaques est compliquée. Si vous voulez en savoir plus sur ce que c’est, vous pourriez vous souler et demander qu’on vous attache les jambes ensemble, puis tenter de marcher. Ou plus simplement, googlez.

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