J’adore les traditions. Je suis fidèle aux rituels. Des anniversaires à l’entaillage des érables, de la trouvaille au magasin de chaussures à l’auto-cueillette dans le verger, toutes les excuses sont bonnes pour faire la fête. Les mini rituels hebdomadaires comme les lundis martinis, les dimanches blottis en famille ou le café du samedi matin sur le balcon sont des cérémonies solennelles. Ce sont des repères dans nos vies et ils nous aident à entretenir nos relations. Les rituels nous relient aux autres et rythment nos journées. Ils nous rendent attentifs. Je ne connais pas d’occasion trop grande ou trop petite qui ne soit digne d’un verre de champagne rosé. Je sais, ça ne peut pas être la bar-mitsva tous les jours, mais écoutez-moi bien parce que je vais vous donner une toute nouvelle raison de manger des gâteaux.
Tous les mois, pendant les cinq prochaines années, je devrai soumettre mes frêles petites veines à une ponction de sang. Tous. Les. Mois. Cela parce que j’ai eu des traitements assez puissants qui peuvent avoir des effets secondaires à long terme. À quel point puissants? Au point de me faire signer un contrat dans lequel je m’engage à faire ces prises de sang, peu importe où je me trouve sur la planète. Chaque mois. Pendant cinq ans. Une infirmière autoritaire m’appelle tous les 28 jours pour me le rappeler sur un ton ferme. C’est le seul plan quinquennal que j’ai jamais eu.
Je n’ai pas peur des piqures. Et je ne suis pas impressionnée par ceux qui s’évanouissent devant une seringue. Quand on a composé avec des choses beaucoup plus graves, on a tendance à s’endurcir (je te regarde, F). Ce que je n’aime pas, c’est la salle d’attente du laboratoire où environ 482 malades s’entassent avec leurs streptocoques, leur coqueluche et leur tuberculose. Une sérieuse menace pour mon système immunitaire déjà affaibli. Je suis convaincue qu’il y a au moins une personne dans cette salle surchauffée et surpeuplée qui vient passer un test pour la peste. Bubonique ou pneumonique, ça n’a pas d’importance. Je retiens mon souffle et récite une prière. Puis je lave tout mon linge à l’eau de javel en rentrant chez nous.
Cette obligation mensuelle est aussi une source d’anxiété pour une autre raison: elle me rappelle avec acuité que j’ai pris des risques. J’ai fait un pacte avec le diable dans l’espoir d’améliorer mon état, et ces prises de sang me rappellent que ça pourrait vraiment mal tourner. Avant, je me disais qu’on ne pouvait pas avoir plus d’un problème de santé à la fois, mais les médecins m’ont convaincue du contraire.
Lors d’un de mes récents passages à la clinique, il y avait un petit garçon qui devait faire un paquet de tests avec piqure. Sa mère l’accompagnait avec des cadeaux et des gâteries pour l’aider à passer au travers. Elle lui promettait la plus grosse récompense possible quand ce serait fini. Elle ne lui disait pas de ne pas pleurer. Elle n’avait pas besoin de lui dire qu’il n’attraperait pas la grippe aviaire juste en entrant ici. Elle lui tenait la main quand il pleurait en lui disant qu’il était brave. Dès qu’il a vu sa récompense, sa souffrance et sa misère ont pris fin comme par enchantement: un beau cupcake recouvert de petits bonbons de toutes les couleurs.
Pour calmer ma peur tout à fait rationnelle de la contagion, je me couvre de désinfectant pour les mains, je limite mon exposition à Webmd la veille de mon rendez-vous et j’évite de regarder les gens dans les yeux une fois rendue à la clinique. Mais pour me réconforter, rien, nada. Inspirée par le petit garçon atteint de rougeole ou de malaria ou de je ne sais quoi, j’ai décidé de transformer cette expérience récurrente et désagréable en quelque chose de délicieux.
Juste à côté de la clinique, il y a — stratégiquement située, me direz-vous — une pâtisserie haut de gamme, très hipster. Alors, voici la nouvelle routine. Le Banquier me dépose à la clinique, et pendant qu’on me fait mes prises de sang, il ramasse deux lattes et deux pâtisseries designs. Gâteau aux carottes glacé au fromage à la crème pour moi, cupcake red velvet pour lui. Parce que nous sommes solidaires. Tout le temps où je suis à la clinique, je pense à ma délicieuse récompense. Une double gâterie quand on pense à ma diète ordinaire, santé et bio. C’est à peine si je remarque que mon voisin dans la salle d’attente a la fièvre. Maintenant que c’est devenu la journée du petit gâteau, j’ai hâte à ma prise de sang. Et je trouve que c’est une tactique parfaitement loyale pour affronter l’inévitable.
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