Le Banquier et moi rentrons d’un séjour au soleil dont nous avions grand besoin. Je ne suis pas en bons termes avec l’hiver et si je veux passer au travers, j’ai besoin d’une bonne dose de vitamine D (ce D est pour daiquiri). Le matin de notre départ, il tombait une neige poudreuse et la route vers l’aéroport se couvrait par endroits de glace noire. Il était temps de se barrer de Toronto.
Mais, attendez un peu. On dit que la chaleur, ce n’est pas bon pour la SP.
Écoutez, rien n’est bon pour la SP.
La sclérose en plaques (SP), c’est comme un buffet de quatre-mille maladies individuelles. L’intolérance à la chaleur liée à la SP s’appelle le phénomène d’Uhthoff. En passant, donner son nom à une maladie ou a un problème qu’on découvre est une idée saugrenue. Perso, je lui aurais donné un nom plus évocateur, comme le phénomène Trouble-tête ou l’Emmerdose au soleil. Genre.
Voici comment je comprends ce phénomène. Si la myéline est endommagée, ce qui est le cas avec la SP, la conduction nerveuse devient encore plus erratique quand la température du corps s’élève. Les messages qui peuvent normalement passer du cerveau aux autres parties du corps ne passent plus aussi efficacement. Une augmentation de votre température corporelle de seulement un demi-degré peut avoir un impact sur la conduction nerveuse et vous donner l’impression de faire une rechute. En pratique, cela signifie que le temps chaud, les douches chaudes, l’exercice et même la fièvre peuvent vous causer des ennuis. Je ne parle pas ici de «Ouf, j’ai chaud, je me sens fatiguée», mais plutôt de «Ouf, j’ai chaud, JE NE SENS PLUS MES JAMBES». C’est effrayant. Cela dit, se prélasser au soleil n’est pas considéré comme une imprudence.
Le phénomène d’Uhthoff ne dure que le temps où le corps est exposé à la chaleur et ne cause pas de dommages permanents. Fait amusant: avant que les appareils raffinés d’IRM ne deviennent la norme, les médecins diagnostiquaient la SP à l’aide du test du «bain chaud», entre autres.
Alors, pourquoi voudrais-je me soumettre à ce test?
Parce que j’aime toujours la plage et l’océan, les margaritas et les mariachis. Ce n’est pas idéal, mais je ne suis pas prête à renoncer au guacamole. Et l’autre solution était de rester à la maison en pensant à quel point j’ai froid. De plus, j’ai senti que le Banquier méritait de voir mes jambes nues une dernière fois avant que je me retire dans la semi-hibernation.
On savait donc que la chaleur de Huatulco, Mexique allait rendre mes faibles jambes encore plus faibles. Ajoutons à cela que récemment, j’avais dû appeler un taxi à quelque 200 mètres de chez moi parce que je ne pouvais plus marcher. Alors, nous avons conclu une entente en deux points.
Bien sûr, nous nous attendions toujours à passer un moment fabuleux. Diminuer nos attentes voulait juste dire ne pas prévoir d’excursions ou n’importe quoi de plus ambitieux qu’un diner. Et si même cela s’avérait trop difficile? Service à la chambre por favor. Le but de notre voyage était d’être quelque part ensemble et de nous détendre. Nous allions nous en tenir à ça. Point. Pas de baignades avec les dauphins ni de visites de plantations de café en altitude. Fauteuil roulant partout, ça voulait dire ça.
Nous avions convenu ce deuxième point avant de partir pour que je puisse me faire à l’idée, mais aussi pour éviter d’avoir à me demander chaque jour ou même chaque heure si j’en avais besoin. Je ne voulais pas avoir à demander le fauteuil ni qu’on me demande «Est-ce qu’on prend le fauteuil aujourd’hui?» Je savais que ce serait plus facile pour moi si ça faisait partie de la routine. Je n’aurais donc pas à me demander constamment comment j’allais manœuvrer dans un environnement magnifique, certes, mais aussi hostile d’une certaine manière.
Ce serait la première fois que je passerais autant de temps dans un fauteuil roulant. J’avais ma liste de préoccupations.
Ma vanité ne prend pas de vacances. Au contraire, elle augmente d’un cran en vacances. Vous ne me ferez jamais croire que je suis aussi sexy quand j’entre dans un restaurant, assise dans un fauteuil roulant, que je l’étais quand j’ondulais sur mes talons aiguilles. Cette idée me rend triste, alors s’il vous plait, ne me racontez pas de conneries sur ma beauté intérieure. Je concède cependant que tomber desdits talons pour atterrir sur le charriot à fromage est encore moins sexy.
Je m’aperçois que le sujet peut paraitre superficiel et je m’en fiche. La sclérose en plaques m’oblige à renégocier de temps en temps l’image que j’ai de moi-même. Je reconnais aussi qu’il y a de superbes gonzesses en fauteuil roulant. Vous m’encouragez, et merci de continuer à briller. (Je te parle, Darce).
Si c’est chiant de pousser quelqu’un dans un fauteuil, je me dis que ça doit l’être encore plus si ce quelqu’un flippe à l’idée d’être poussé. Je n’aime pas être dépendante (Peux-tu m’emmener aux toilettes, s’il te plait?), même si le Banquier est l’homme le plus prévenant et le plus accommodant en ville. D’un autre côté, fais une femme de toi. Parce qu’en vérité, c’est encore plus un fardeau de marcher à pas de tortue dans la chaleur accablante avec quelqu’une pendue à son bras qui s’arrête aux deux minutes pour se reposer. Quand les deux arrivent enfin à destination, la réserve d’énergie de l’une est épuisée et il n’y a plus rien à faire pour l’une comme pour l’autre. Il m’a fallu une éternité pour comprendre cela.
O.K., ceci n’est pas un mensonge. Mais honnêtement, je n’ai pas vraiment remarqué (probablement parce que je suis légalement aveugle, les amis). Mais le Banquier, lui, l’a remarqué. Il a foudroyé du regard tous les curieux ébahis devant le bikini rose en fauteuil roulant. Personnellement, je me trouvais plutôt insipide. Le barman du bar aquatique était nettement plus intéressant. Ou la victime des coups de soleil. Ou le vieux bonhomme en slip de bain blanc. J’avais du mal à croire qu’après une semaine en fauteuil roulant, personne ne m’ait demandé ce que j’avais.
C’est peut-être le mensonge qui me pose le plus de problèmes. Vous connaissez sans doute le principe qui dit que si on n’utilise pas une capacité on la perd (Use it or lose it). Pour moi, ça voulait dire rester debout à tout prix. J’ai avalé des mégas doses de ce Kool-Aid empoisonné et j’ai fait de très mauvais choix en croyant à tort que plus je marchais, plus je pourrais marcher. La réalité frustrante est que ce n’est tout simplement pas vrai. Je n’ai pas autant de contrôle ou d’influence sur cette maladie que je le voudrais. Je crois aux bienfaits de l’exercice et de la physio, mais la voie sisyphéenne dans laquelle je m’étais engagée est contreproductive et démoralisante. Elle m’a conduite en larmes sur un trottoir, forcée d’appeler un taxi à 200 mètres de chez moi parce que je ne pouvais pas faire un pas de plus. Je ne gagne absolument rien à me rendre jusque-là.
Je suis assez intelligente pour savoir que le fauteuil roulant, tout comme ma bonne amie Cathy, n’est pas un empêcheur, mais un complice. C’est un outil qui me permet d’accéder à la vie plutôt qu’une extension de moi-même. Je le comprends, il faut juste que je me le rappelle. La plupart des gens voyagent pour échapper à leurs problèmes, mais de diverses manières, les voyages me confrontent aux miens. Quand je vois le soleil, ça m’aide, alors je lui offre mon visage autant que possible. Et quand il y a trop de nuages, tequila.
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