Un jour, du temps de l’école secondaire, j’étais dans le bus quand une fille que je n’avais pas vue depuis l’école primaire est montée. Nous avions toutes les deux 15 ans et, à ma grande surprise, elle était enceinte. En la voyant, je me suis exclamée: «Michelle! Mais comment c’est arrivé?» Elle a levé les yeux au ciel et marmonné quelque chose sur l’ignorance des vierges, puis s’est dirigée vers le fond du bus.
Même à 15 ans, j’avais assez d’intelligence pour regretter les mots qui sortaient de ma grande gueule à l’instant même où ils s’échappaient. Des années plus tard, je grimace encore quand je pense à cet instant. Nous disons toutes et tous des conneries et depuis cet épisode, j’ai souvent raté de belles occasions de me taire. J’essaie de m’en souvenir quand quelqu’un me lance quelque chose d’ahurissant. Et je me dis que cette personne se tourmente autant que je le fais pour les niaiseries qui nous échappent.
En tant que personne atteinte d’une maladie souvent incomprise, j’entends des conneries avec une régularité stupéfiante. J’ai appris à ne pas les prendre personnellement, mais parfois, ces commentaires spontanés, apparemment inoffensifs, sont le reflet de croyances douteuses, profondément ancrées dans notre culture.
Ces derniers jours, j’ai eu la «chance» d’entendre quelques-uns de ces commentaires douteux. Comme il m’est arrivé plus souvent que d’habitude de répondre avec mon regard noir bien entrainé, j’ai décidé d’en parler ici avant de développer un tic dans le visage.
Mon premier froncement de sourcils répondait à la philosophie de pacotille d’une simple connaissance qui m’a dit que «tout arrive pour une raison».
Je n’ai pas pris la peine de lui expliquer que je ne croyais pas que ma maladie m’avait été envoyée pour que je puisse comprendre une grande leçon mystique. J’ai simplement jeté un coup d’œil à ma canne et haussé les épaules en disant que je ne souscrivais pas vraiment à cette façon de penser. Mon philosophe en a alors ajouté une couche en précisant que si ce n’est pas pour une raison particulière, alors c’est le karma. Oh?
S’il te plait, parle-moi des principes spirituels du bouddhisme (espèce de hipster wasp).
Comme je suis une dame et que le sarcasme est inconvenant, j’ai répondu très poliment et très sincèrement: «Le karma? Intéressant. Putain, je me demande bien ce que j’ai fait!» Malgré ma politesse, la conversation a coupé court.
Je comprends que beaucoup de gens pensent de cette façon. J’ai peut-être même cru à certaines de ces idéologies faciles avant d’acquérir un peu d’expérience de la vie. Chacun son truc. Mais voici un petit guide de sensibilité: Ne dites pas ces âneries à voix haute. Soyez conscient de ce qui se passe autour de vous. Il y a des tragédies dans ce monde. Attribuer une raison à la souffrance de quelqu’un d’autre, c’est juste, comment dire, beurk.
Mes aventures avec les faux pas verbaux se sont poursuivies le lendemain, lorsque le Banquier et moi sommes allés au match de baseball. Les bonnes gens du Centre Rogers offrent un service aux personnes à mobilité réduite où un employé vous accueille à l’entrée avec un fauteuil roulant et vous amène à votre siège. J’ai décidé de profiter du service pour m’éviter une longue marche, des escaliers et des foules qui peuvent être hostiles à ma lenteur. De plus, on sait qu’un foule en mouvement peut entrainer des bousculades et je doute qu’en pareil cas ladite foule comprenne mon incapacité à me défendre. Les employés sont bien formés et font un super boulot. C’est un service chouette sans lequel je serais peut-être restée à la maison.
Lorsque nous sommes arrivés à notre section, nous avons été accueillis par une autre employée dont le travail consistait à diriger les gens vers leur siège. Cette ouvreuse ne semblait pas avoir reçu le même type de formation que les employés du service d’accompagnement. Lorsqu’elle m’a vu arriver en fauteuil roulant, elle s’est écriée:
«Ah, la chanceuse!»
Elle avait la voix aigüe et chantante qu’on utilise habituellement avec les personnes de moins de sept ans, mais dont on use parfois pour parler aux adultes en position assise. On en était déjà à deux prises, et le match n’avait même pas commencé.
Les mots bourdonnaient dans mes oreilles et ce n’était pas la première fois que j’entendais quelque chose comme ça. Alors voici pourquoi j’en parle. Ce qu’elle a dit est manifestement faux et vous ne pensez pas comme elle. Non, vous pensez exactement comme elle. Dans notre putain de société paresseuse, pourquoi voudrais-je marcher quand quelqu’un d’autre peut le faire à ma place? Qui ne voudrait pas ça, non? (Je l’ai entendu. Et je n’ai pas réagi en dame.)
Lorsque quelqu’un me traite de chanceuse, cela sous-entend que je bénéficie d’un traitement spécial et exceptionnel. Comme si j’avais gagné un putain de prix. Alors que tous les autres spectateurs ont le droit d’être là, moi, j’ai la chance d’y être grâce à la bienveillance et à la générosité de quelqu’un d’autre. Oui, le service d’accompagnement, c’est super et je suis heureuse qu’il existe, mais il ne doit pas être considéré comme une œuvre de charité.
Quand on me dit de m’estimer chanceuse d’avoir le même accès que n’importe qui d’autre à un lieu, cela me diminue et m’insulte, et ce n’est certes pas l’intention du stade en offrant ce service. Ils fournissent ce service parce que c’est la bonne chose à faire. C’est la façon éthique de gérer une entreprise. Je ne me sens pas chanceuse de pouvoir assister à un match de baseball, je sens que je fais partie de la société au même titre, et avec la même valeur, que les autres.
Je sais qu’il existe de nombreux endroits dans le monde où les personnes handicapées ne sont pas traitées avec considération. À commencer par Toronto même. Je suis consciente de la chance que j’ai de vivre dans un pays qui fait des progrès dans la façon de traiter les plus vulnérables. Mais je suis consciente aussi que des commentaires comme «chanceuse» révèlent une attitude erronée et contagieuse envers les personnes handicapées. Une attitude qui dit Tu n’as pas ta place ici autant que le reste d’entre nous. On n’est pas obligés de t’inclure, mais si on le fait, tu devrais reconnaitre à quel point on est magnanimes et charitables. Je ne veux pas avoir l’air d’une hystérique de la canne, mais cette attitude doit changer. L’égalité d’accès n’est pas de la gentille bienveillance. Selon le Code des droits de la personne de l’Ontario, c’est la loi, bitches.
O.K., c’est l’heure des confessions. Quelle est la pire connerie que quelqu’un vous a dite? Vous avez le droit de répondre seulement si vous nous révélez une connerie que vous avez déjà dite. Allez, ça nous arrive à tous. Ça fait du bien de se vider le cœur.
En attendant, je vais me verser un verre de vin en vous racontant la fois où j’ai dit à un collègue comment la conférencière d’honneur était nulle. Il s’est avéré que c’était sa mère. Évidemment.