Je n’ai pas beaucoup écrit récemment parce que je n’étais pas certaine d’avoir de belles choses à raconter et on sait tous qu’Internet n’est pas la place pour être négatif. Le truc, c’est que je traverse un moment difficile. Une crise, peut-être, et une sorte de passage à un niveau supérieur d’incapacité. Quinze ans après mon diagnostic de sclérose en plaques (SP), le temps est venu d’utiliser une marchette. Une partie de moi est encore complètement abasourdie par cette nouveauté. Même si mes 15 ans de SP peuvent me paraitre une éternité, je trouve que j’arrive vite à Sainte-Marchette, même si je suis bien consciente que d’autres y sont malheureusement arrivés encore plus vite que moi.
Juste comme je commençais à m’habituer à la canne, il est temps de passer à la marchette. Pardon, au déambulateur, comme on est censé l’appeler maintenant. Si j’ai appris quelque chose avec la canne, c’est qu’il n’y a pas de retour en arrière. Avec la SP, ce genre d’accessoires est là pour rester. Jusqu’à ce que vous arriviez au prochain niveau d’exécrable et que vous ayez besoin d’une aide technique plus avancée.
Je passe donc à un autre niveau, mais il n’y aura pas de bal de finissants. Pas de beuverie, pas de roulage de pelles et pas de robes de bal. Mon seul diplôme est un nouveau score dans l’échelle EDSS et ma récompense, une aide à la mobilité encombrante. Personne n’a envie de célébrer ce passage jusqu’aux petites heures. Quoique… l’idée de me souler me semble plutôt tentante en ce moment.
Pendant les nombreuses semaines où j’ai attendu l’arrivée de Déam (grâce à la lenteur de notre système de santé, j’ai eu le temps de me faire à l’idée de ce changement), j’ai été capable de voir le bon côté des choses. Je me suis dit qu’un déambulateur me donnerait plus de liberté, que j’aurais plus d’endurance. Et un panier pour transporter mes affaires.
Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.
Puis il y a une semaine, au milieu de cette saine acceptation, quelque chose a basculé. Je me suis mise à trouver toutes sortes de significations à cette situation et je me suis mise à flipper sur le balcon, devant un plateau de fromages et un pichet de sangria. Ce revirement soudain était si inattendu, je me suis dit que c’était toxique, mais comme pour le jus de fruits alcoolisé devant moi, je ne pouvais m’empêcher de le prendre et de boire de grandes lampées d’hystérie. Appelez-la marchette ou déambulateur ou ce que vous voulez, il s’avère qu’avoir besoin de ce genre d’aide pour se déplacer est un fucking gros morceau à avaler.
Comme toujours, le Banquier a fait de son mieux pour me calmer, mais il n’y avait rien à faire. Il opposait à chacune de mes angoisses ses assurances pleines d’espoir et des bouts de baguette au brie. Il me répétait pour la millième fois qu’on était ensemble là-dedans et que sa vie était au moins un million de fois meilleure avec moi, peu importe comment j’étais. Au moins un million de fois. Il me pressait de gouter au pâté. Je n’étais pas convaincue. Il m’a versé un peu plus de sangria et cela a aidé, mais il peut être drôlement convaincant. Puis j’ai réussi à nous faire pleurer tous les deux. On a vidé nos verres et le plateau de charcuterie. Le lendemain matin, je respirais déjà mieux. J’avais évacué toute la peine de mon système. J’étais prête à accepter cette rupture d’avec la marche autonome et à aller de l’avant.
Du moins, je le croyais. On sait tous que la première rupture est longue à digérer. La nuit suivante, je me suis retrouvée à fixer le plafond à 3 h du matin en me demandant et après? Qu’est-ce qui m’attend? J’essayais de tenir le coup, mais j’imaginais le pire et je me demandais comment j’allais composer. Parce que le pire dans tout cela, c’est et après?
La nuit suivante, j’étais parfaitement éveillée et je calculais combien de temps il me restait à vivre. Ce qui était épuisant parce que je ne suis pas très bonne en calcul, mais pas épuisant au point de me rendormir. Alors je me suis levée pour jaser avec la chienne. Sans surprise, elle n’avait aucun sage conseil à me donner. Elle dormait à mes côtés et — je ne la juge pas — de temps en temps, elle s’éveillait pour se faire un toilettage discutable. Pouah. Enfin, elle a aussi ses problèmes.
Après trois nuits d’insomnie, je n’ai pris aucun risque et j’ai avalé une poignée de zopiclone avec un grand verre de vin. Les amis, ceci n’est pas un conseil médical, d’accord? Ceci n’est qu’un blogue.
J’ai mieux dormi (façon de parler), mais il me restait à fondre en larmes encore quelques fois avant de pouvoir tourner la page. La fois où j’ai affreusement pleuré en disant que je n’étais pas assez forte pour composer avec la situation. La fois où j’ai paniqué en me disant que je n’en avais plus pour longtemps à vivre, et que je me suis mise à sangloter à cause de l’injustice de tout cela, convaincue que mes plus beaux jours étaient derrière moi. La fois où j’ai réaffirmé que ce n’était pas juste. Parce qu’IL N’Y A RIEN DE JUSTE DANS TOUT ÇA.
(profonde respiration)
Je fais un drame. Je vomis ma vie. Je flippe. Encore une fois. Désolée pour tous ceux qui m’aiment ou qui m’entourent. Je sais que ça devient chiant. Mais est-ce qu’il y a des gens qui acceptent une situation comme celle-là sans sourciller? Avec la sclérose en plaques, on ne perd pas tout le jour du diagnostic et on ne peut pas faire notre deuil une fois pour toutes. C’est toujours à recommencer, comme si on avait une nouvelle maladie chaque fois.
Même si je n’ai pas retrouvé le sommeil, je commence à voir la lumière au bout du tunnel. Pas parce que mon corps est plus fort ou que la maladie ralentit, mais parce que je suis incapable de rester dans le noir trop longtemps. Et j’ai lu quelque chose hier soir qui m’a allumée.
(Merci, Andy, et pardon pour les gros mots)
On a déjà tous entendu ça. Ne hais pas ce que tu n’as pas. Aime ce que tu as. C’est différent de Sois reconnaissant pour ce que tu as qui ressemble davantage à une menace du genre: tu as intérêt à aimer ce que tu as avant qu’on te l’enlève. Ce qui ressemble au modèle de la SP où n’importe quelle habileté que tu possèdes peut t’être enlevée sans crier gare. Ça peut être difficile d’être reconnaissant pour quelque chose qui vous est seulement prêté et qu’un sinistre agent de recouvrement finira par vous réclamer.
Aime ce que tu as est différent. Si vous aimez quelque chose, vous ne faites pas seulement le reconnaitre avec un remerciement poli. Vous devez en prendre soin. Vous devez être gentil envers cette chose. Vous devez faire quelque chose pour elle. Vous n’êtes pas passif. Aimer est un verbe actif. Pourrais-je prendre ma SP dans mes bras plutôt que de lui jeter des regards torves? L’amour est patient, l’amour est aimable… Ça, ça vient de la bible, les filles, alors vous savez que c’est bien. Si je peux aimer mes jambes pour ce qu’elles peuvent encore faire, puis-je être patiente et aimable avec elles?
Alors que j’essayais de m’endormir hier soir, j’ai commencé à faire une liste de Aime ce que tu as. J’ai vraiment essayé très fort de ne rien tenir pour acquis, de ne pas faire une liste de Aime ce que tu as perdu. J’ai pensé au Banquier, à la chienne et au réconfort que leur amour m’apporte, deux évidences en tête de liste. Un jour, je vais certainement perdre mon toutou. Elle a 11 ans. Tout à coup, je m’aperçois que cela ne me la fait pas moins aimer. Quand je suis avec elle, je ne passe pas mon temps à me demander ce que sera ma vie sans elle. Je composerai avec ça en temps et lieu. Ce sera à la future moi de s’occuper de cette perte et de ce chagrin.
Ce début de liste m’a encouragée et j’ai continué en cherchant des «choses» à l’intérieur de moi. Je voulais trouver de l’amour pour ce qui n’était plus comme avant. Je voulais trouver de l’amour pour ce que la sclérose en plaques essaie de m’arracher.
J’ai décidé d’aimer le fait que je pouvais m’habiller et me mettre au lit toute seule. J’ai décidé d’aimer mon autonomie. J’ai résisté à l’envie d’ajouter pour le moment parce que ça sous-entendrait que c’est transitoire. J’aime mon autonomie. Point. Autonomie a déjà été synonyme de pouvoir au féminin pour moi, mais aujourd’hui, ça signifie que je peux aller à la toilette toute seule. Faire du café. Mettre mes chaussettes. Ça me demande un effort, mais je n’en ressens pas d’amertume. Je suis sincèrement reconnaissante de pouvoir marcher. Et aussi tentée que je le suis de m’attarder à mon désir de pouvoir marcher pour toujours, je m’aperçois qu’en faisant cela je m’éloigne de ce que j’ai aujourd’hui. Je me projette dans un futur inconnu et terrifiant, sombre et impossible.
Ce que je vais dire a un gout de vomi dans ma bouche, mais je ne possède pas ce qui n’existe pas encore, je n’ai que le présent. Parfois, j’ai l’impression de me servir à moi-même de la bullshit jovialiste, mais essayer de croire cette bullshit m’épuise moins que de me laisser entrainer dans le désespoir. Je préfère décider que l’herbe est assez verte chez nous en ce moment. Il est temps de me relever.
Je ne veux pas me battre contre mes jambes. Je ne veux pas les haïr ou me sentir frustrée. Je veux les aimer. Je veux les enduire de crème parfumée à la lavande de l’Occitane en murmurant Merci. Je sais que vous faites votre possible. Ce n’est pas votre faute. Vous méritez de belles chaussures et des pédicures régulières.
Vous vous rappelez le pire bout de cette histoire — et après? Eh bien, le problème est maintenant dans la cour de la future moi.
Après tout, peut-être que ce passage à un niveau supérieur mérite son bal de finissants. N’existe-t-il pas des rituels pour toutes les transitions? Alors, vous prendrez bien un verre de Pommery?
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