Mai est le Mois de la sensibilisation à la sclérose en plaques (SP) au Canada, et vous n’avez pas besoin de me le rappeler. Je suis déjà très sensible à la SP. Je la sens toute la journée et aussi la nuit.
Dans un peu plus d’un mois, les murs de la ville vont donc être placardés d’affiches sur la SP et on va en entendre parler dans tous les médias, sur toutes les tribunes.
Mais non. Ça va passer inaperçu, comme d’hab.
Le manque de visibilité du Mois de la sensibilisation à la SP est dérangeant parce que la sclérose en plaques n’est pas bien comprise, parce qu’elle touche un nombre grandissant de gens et que la recherche est carrément sous-financée.
Quand on entend parler de SP, le message n’est pas clair. Même à l’intérieur de la communauté SP, on ne s’entend pas sur le message à véhiculer. Il existe une véritable controverse sur la manière de présenter cette maladie dans les médias et dans la publicité des fabricants de médicaments. La grande majorité des images que l’on voit nous présente des jeunes en santé, souriants et heureux, s’adonnant à des activités sportives. Le genre d’images qui nous incite à essayer de nouveaux médicaments. Parce qu’on voudrait ressembler à ces jeunes-là. Ces images rassurent le public en laissant croire que la plus importante maladie neurologique qui touche les jeunes dans le monde est sous contrôle. Elles promettent une bonne santé moyennant un bête comprimé ou une petite injection. Ces images sont bien accueillies par plusieurs patients qui sont pourtant loin de pouvoir atteindre à l’idéal qu’elles représentent. Elles sont particulièrement réconfortantes pour ceux et celles qui viennent de recevoir un diagnostic de SP et qui se demandent à quoi va ressembler leur avenir.
Quand j’ai reçu mon diagnostic, j’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur la sclérose en plaques et j’étais terrifiée. J’ai assisté à un groupe de soutien et j’ai eu la nausée en mettant les pieds dans la salle. Tout le monde avait l’air malade. Je n’y suis jamais retournée. Je détestais la Marche de l’espoir parce que je ne supportais pas de voir des gens en fauteuils roulants. Plutôt que d’éveiller ma compassion, cela donnait raison à mes plus grandes craintes. Je paniquais en pensant à mon avenir. Je n’étais pas prête à voir les effets de la sclérose en plaques. Je n’étais pas comme ces gens-là. J’étais au début de la vingtaine, j’avais un copain et je poursuivais une carrière. Je voulais voir des gens qui me ressemblaient, des gens qui allaient bien, qui pouvaient me montrer que ma vie n’était pas en train de s’écrouler.
Quelqu’un m’a signalé une femme dans la quarantaine qui marchait avec une canne en me disant «Elle a la SP depuis toujours et elle a seulement besoin d’une canne». Seulement? J’ai juré que je ne serais jamais malade comme cette femme. Je venais de recevoir mon diagnostic, je voulais me protéger des histoires d’horreur. J’avais besoin de voir des personnes atteintes de SP qui vivaient une vie normale.
À l’autre bout de la controverse, il y a des gens que ces images de vie normale mettent en colère. Ils s’indignent de la fausse représentation. Des jeunes qui dansent, qui font de l’alpinisme, qui mangent de la crème glacée, béats, ce n’est pas conforme à la réalité qu’ils vivent, eux. Après 15 ans, avec la SP, je comprends ça aussi. Je sais que c’est pathétiquement ridicule de se promettre de ne pas devenir handicapé au point d’avoir besoin d’aide pour marcher. Pourtant, j’entends des gens se faire cette promesse tout le temps. Et quand ils le font à voix haute, c’est blessant et parfaitement trouduc. Parce ce que ça laisse entendre que «les autres» n’ont pas travaillé assez fort contre la maladie.
Je comprends pourquoi les représentations jovialistes de la maladie mettent des gens en rogne: elles ressemblent à un mensonge, elles ignorent leur vécu, comme s’ils n’existaient pas.
Le message sur la SP est trouble parce que la maladie elle-même est trouble. Les différences d’un patient à un autre sont énormes. Et chez une même personne, ça change d’une année à l’autre. Ma condition n’est pas ce qu’elle était il y a 10 ans. Mon besoin d’information aussi a changé. Nous ne pouvons pas nous entendre sur LA façon de parler de la maladie parce qu’il n’y en a pas juste UNE. Par contre, ce que nous avons en commun, c’est l’incertitude face à l’avenir et le besoin d’action. Il faut que les meilleurs cerveaux de la médecine et de la science s’attaquent au problème. Oui, plusieurs personnes vivent longtemps avec la maladie sans qu’elle progresse beaucoup. Racontez leurs histoires.
Aussi rassurant que puisse être le scénario optimiste, nous courons un risque réel si nous racontons seulement celui-là. On crée la fausse impression que la sclérose en plaques est sous contrôle, qu’on a trouvé le remède et qu’il serait temps de passer à autre chose. Alors, on se fait demander «Pourquoi tu prends pas le médicament dont ils ont parlé à la télé? Il parait que ça marche» ou «Avec les cellules souches, c’est réglé, non?»
Même si les médicaments peuvent être efficaces pour certaines personnes, ils n’ont un impact que sur une petite partie des patients. On a dépensé des milliards pour développer des médicaments capables de modifier la maladie; comment se fait-il qu’il y ait si peu de recherche sur les causes de la SP? Les médicaments ne suffisent pas. Jusqu’à maintenant, aucun n’a pu enrayer la maladie et aucun ne s’attaque aux causes. Les médicaments sont extrêmement couteux et ils ont des effets secondaires graves.
Il n’est pas nécessaire de projeter une image négative ou de tabler sur la peur pour sensibiliser le public. Il n’est pas question non plus de ne pas célébrer tout ce que les gens atteints de sclérose en plaques réussissent à accomplir. Mais il ne faut pas oublier que la SP est une maladie cruelle. On n’a aucune certitude sur ce qui nous attend, mais on doit connaitre tous les dénouements possibles. On ne peut pas, on ne doit pas ignorer les patients qui incarnent nos pires craintes. Les personnes atteintes de la forme progressive sont effacées du portrait.
En refusant d’évoquer les pires scénarios, on se prive de mobiliser les ressources nécessaires à la recherche et à tout le travail qui reste à faire. C’est dans notre intérêt à tous de venir à bout de cette maladie, peu importe que l’on se sente bien ou non.
Quand on parle de sclérose en plaques, on montre qu’on peut vivre pleinement avec cette maladie, ce qui est très bien. Il en faut. Mais nous devons tout montrer. Le nombre de personnes qui vivent avec la SP est troublant. Au Canada, c’est une personne sur 1 000 ou même sur 500, dans certains endroits.
Oui à la sensibilisation, mais enlevons nos lunettes roses. On ne fera pas bouger les choses si on cache ce qui nous fait peur. Il est temps de dire la vérité. Toute la vérité.
Fin de la diatribe.
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