O.K., vous voulez savoir ce que j’ai?

Ben oui, qu’est-ce que t’as?

J’arrive d’un séjour fantastique en Espagne et en France avec le Banquier et Optimus Prime, mon nouveau complice sexy — un déambulateur cool qui se transforme en chaise de transport.

C’était la première fois qu’on amenait Optimus en voyage et nous étions tous les trois nerveux. 

Le Banquier: «Comment ça va se passer pour monter dans un taxi, dans le train, à l’aéroport? Est-ce qu’on va bloquer la circulation et énerver les gens?»

Optimus: «Est-ce que je vais me faire malmener par des bagagistes nonchalants? Est-ce qu’on va me briser les os dans le transport? Et je ne pourrai plus soutenir ma nouvelle meilleure amie pour la vie?»

Moi: «Qu’est-ce que les gens vont dire? Est-ce qu’ils vont me traiter différemment? Différemment comment?»

C’est le genre de questions que se posent les Canadiens excessivement polis que nous sommes. Mais en fin de compte, nous n’avions aucune raison de nous inquiéter. Le Banquier s’était entrainé à emballer et à transformer Optimus: il le faisait en 90 petites secondes. OP est revenu à la maison sans avoir subi de traumatismes si ce n’est l’inévitable collision avec un caca de chien parisien. À ma grande surprise, personne n’a commenté mon accessoire qui crève pourtant les yeux. Ce n’est pas tout à fait vrai. Mes superbes bottes m’ont valu quelques compliments bien sentis. C’est vrai qu’elles sont vraiment très belles.

Optimus Prime est encore un peu intimidé par les appareils photo. (Absentes de la photo: mes bottes badass)

O.K., vous voulez savoir ce que j’ai?

Je suis reconnaissante d’avoir été accueillie partout avec OP sans avoir à répondre aux questions d’usage. Nous étions en déplacement tous les jours, et jamais ma différence n’a été évoquée à brule-pourpoint. Je ne m’attendais pas à ça. Ce n’est pas ce qui se passe ici, dans ce Canada si «poli». Parfois, il faut sortir de chez nous pour faire l’expérience d’une culture différente et voir les choses un peu plus clairement.

De ce côté-ci de l’océan, j’ai eu à répondre aux questions sur mon «problème» quand j’ai commencé à marcher avec une canne, et ça ne s’est pas amélioré depuis que j’ai mon déambulateur. Qu’est-ce qui ne va pas avec votre jambe? Qu’est-ce que vous avez fait? Qu’est-ce qui vous est arrivé? Bon, j’ai compris. Vous n’avez pas l’habitude de voir des gens comme moi, c’est-à-dire: jeunes avec des accessoires de personnes âgées. Pour je ne sais quelle raison, on se sent autorisé à faire des commentaires ou à poser des questions. Comme si le malaise ressenti devant les handicaps nous poussait à meubler le silence en s’adressant à l’éléphant dans la pièce — ou dans la rue. Avec les questions qu’on me pose, j’ai l’impression de devoir révéler mon intimité, de devoir m’expliquer. Je finis par croire que c’est moi le problème. 

Qu’est-ce qui nous fait croire qu’on peut poser ce genre de questions à de parfaits inconnus? Est-ce que c’est notre sentiment de supériorité par rapport aux personnes handicapées? Qu’est-ce qu’on veut savoir au juste? Peut-être que ces commentaires ont l’air anodin — les gens essaient juste de faire la conversation —, et je ne pense pas que tous ceux qui me parlent soient des peigne-culs indiscrets, mais ces interactions ne sont pas correctes. En fait, ces questions se résument toutes à «Qu’est-ce que vous avez?»

«Qu’est-ce que vous avez?» n’est pas une bonne façon de briser la glace.

Après avoir vécu deux semaines sans questions inopportunes, OP et moi avons été accueillis au Canada par ce commentaire, venu d’un homme âgé, à l’aéroport Pearson: «Je suis vraiment content de ne pas en avoir encore besoin». Il pointait le déambulateur, vous aurez compris. (OP a levé les yeux au ciel, genre Pour rien au monde, je voudrais finir dans tes bras, Monsieur). Ce qui est frustrant, c’est que j’entends ce genre de trucs tout le temps.

J’avais l’habitude de répondre poliment aux questions, ne voulant pas indisposer les autres et en ayant l’impression que mon état de santé ne m’appartenait pas. J’avais l’impression qu’il fallait que je m’explique et même que je m’excuse auprès de tout le monde parce j’ai souvent le sentiment que ma présence encombrante dérange. J’insistais sur le fait que ce n’est pas si grave, pour que les autres se sentent à l’aise alors qu’ils avaient eux-mêmes créé cette situation embarrassante. Une situation où l’autre vous a vu avant que vous ne l’ayez vu, il vous a apposé une étiquette négative, soulignant un défaut, puis l’a énoncée à voix haute. Pensez au combat le plus personnel que vous menez. Imaginez maintenant que toutes les personnes que vous croisez vous demandent de leur en parler. Avant même de vous avoir demandé votre nom. Qu’est-ce que vous leur diriez? 

Récemment, j’ai testé des réponses alternatives quand on me demandait «Qu’est-ce qui vous est arrivé?» Je haussais les épaules en disant «C’est génétique», mais ça m’a paru cruel la fois où ma mère était à mes côtés. Alors, hier, quand un étranger indiscret m’a regardée de la tête aux pieds avant de déclarer: «T’es trop jeune pour utiliser un de ces trucs», j’ai répondu sans me gêner: «Et toi, t’es trop vieux pour être impoli». En réalité, je n’ai rien répondu. Ce qui n’a pas empêché l’étranger de continuer à poser des questions. J’ai fini par m’éloigner avec maladresse en marmonnant quelque chose à propos de croissants. Je n’étais pas moins mal à l’aise, mais j’étais contente d’avoir protégé mon intimité. Il ne méritait pas ce genre d’informations. Au pire, il pouvait me traiter de bitch, mais pas de «personne atteinte de sclérose en plaques (SP)». Il s’avère que je suis les deux, mais c’est moi qui décide si je vous le dis ou pas.

Plus tard, obsédée par ce que j’aurais dû lui dire pour que nous nous sentions tous les deux à l’aise, cela m’est soudain venu à l’esprit. La réponse que je cherchais est si simple que je me demande comment ça se fait que je n’y ai pas pensé avant.

C’est un peu personnel, j’aimerais mieux ne pas en parler.

Je peux le dire de ma belle voix, avec un sourire et les belles manières que j’ai apprises. Tout le monde va continuer son petit bonhomme de chemin sans se sentir vexé. Pas plus compliqué que ça.

J’aimerais mieux ne pas en parler.

En attendant, je me demande si le stéréotype du Canadien excessivement (ridiculement?) poli n’est pas erroné. Je pense que nous avons des leçons à prendre de nos amis européens. Boire plus de vin, manger plus de fromage et poser moins de questions.

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