Ma maladie n’a pas été très active au cours de la dernière année. Ne vous méprenez pas, la sclérose en plaques (SP) m’affecte tous les jours, mais avec des symptômes que je connais et auxquels je suis habituée. À peu près à cette date-ci l’an dernier, j’ai eu une perte soudaine de mobilité, et je m’en suis remise. J’ai passé la majeure partie de 2018 pleine de reconnaissance pour tous les pas que je pouvais encore faire. En même temps, j’ai réussi à me concentrer sur les actions que je peux faire au présent, sans me laisser posséder par des hypothèses d’avenir affolantes. Je me félicite.
Mais je me suis peut-être donné des tapes dans le dos trop vite. Après tout, je suis atteinte de sclérose en plaques depuis mille ans, je devrais savoir une chose ou deux sur la vie avec une maladie chronique. La SP sera toujours difficile, mais il est relativement facile de se prendre en main quand les choses sont stables.
Évidemment, avec la sclérose en plaques, la stabilité ne peut pas durer longtemps.
Toujours est-il que samedi dernier, je me suis réveillée un peu moins en forme que d’habitude. J’étais à New York pour l’anniversaire d’une de mes best et j’ai mis ma voix rauque sur le compte de l’air sec de l’avion, d’une nuit trop courte, et de mes tentatives de la veille d’entrer dans la peau d’Eminem dans un bar à karaoké. Ce n’était pas le temps de réfléchir à ma fatigue: j’étais dans la Grosse Pomme qui se préparait à fêter Noël.
Plus la journée avançait, moins je pouvais ignorer la congestion qui s’accumulait dans ma poitrine, mais je l’ai quand même fait. Il n’était pas question que je sois malade pendant un weekend dans l’une de mes villes préférées, avec une de mes personnes préférées, à l’un de mes moments préférés de l’année. J’ai mis du rouge à lèvres, fourgué un paquet de kleenex dans ma manche et fait mon signe de croix avant de me rendre au diner de fête de mon amie dans un steak house légendaire de New York.
Nous sommes arrivés au restaurant, prêts à passer un très bon moment. Il y avait trois ou quatre marches pour accéder à notre table, car les grandes villes n’ont pas encore reçu le mémo sur l’accessibilité, mais c’était gérable. Pendant que le Banquier casait Optimus Prime, mon déambulateur convertible, dans un coin, un sympathique serveur m’a aidée à négocier les marches pour aller rejoindre nos amis.
La bouffe était fabuleuse, c’est mon dernier bon souvenir du weekend. À la fin du repas, j’avais l’angoissante certitude que je couvais quelque chose. Ce que j’ignorais, c’était à quel point le microbe contre lequel je me battais allait réveiller ma SP.
Contrairement à une véritable exacerbation, qui se produit lorsqu’il y a de nouvelles lésions au cerveau ou dans la moelle épinière, une pseudo poussée peut être provoquée par des infections, une augmentation de la température corporelle, de l’exercice, du stress, un manque de sommeil, un battement d’ailes de papillon. Une pseudo poussée réveille d’anciens symptômes qui peuvent avoir disparu ou aggrave des symptômes existants. Dans mon cas particulier, en ce weekend particulier, ces symptômes furent aggravés. Grave.
Au moment de quitter le restaurant, les trois marches que j’avais négociées avec une canne et le bras d’un sympathique serveur étaient devenues infranchissables. En l’espace de quelques heures, j’étais passée de la fille qui se pavane dans Manhattan à faire des courses et des photos, à la grabataire qui doit se faire porter en fauteuil roulant par deux costauds pour grimper trois marches. Non, l’un était le serveur et l’autre, le Banquier. Pas particulièrement costauds ni l’un ni l’autre.
Même s’il faisait froid sous un crachin désagréable et qu’on était à 30 minutes de l’hôtel, je n’ai pas voulu prendre de taxi parce que je ne pensais pas pouvoir me lever de mon fauteuil pour monter dans la voiture. Alors nous avons marché. C’est-à-dire que le Banquier a marché. Et il a poussé. Enveloppée dans la couverture que j’avais prise à l’hôtel, je me sentais petite et défaite par l’épisode des marches au restaurant, cependant prête à dormir pour repartir à zéro le lendemain.
Allongée sur le dos dans mon lit, j’ai voulu m’assoir et mon anxiété s’est transformée en terreur: j’étais incapable de m’assoir, de me retourner ou même de plier les jambes. J’ai réveillé le Banquier qui m’a soulevée. Mais dès qu’il m’a lâchée, je me suis effondrée. Je ne pouvais plus me tenir debout. Le choc!
Je savais que j’avais de la fièvre, et je me suis dit que j’allais avoir la grippe. Je sais ce qu’une grippe peut faire à la sclérose en plaques. Et ce n’est pas parce que la pseudo poussée n’est pas une vraie poussée qu’elle n’a pas le pouvoir de faire de vrais dommages. Voici quelque chose que j’ai lu par hasard sur Barts MS quelques jours avant d’atteindre ce nouveau niveau d’incapacité.
«Chaque fois que vous contractez une infection, votre système immunitaire produit des cytokines, ou messagers inflammatoires, qui se déplacent jusqu’au cerveau et stimulent l’activité de la microglie. La microglie chaude exacerbe alors les dommages causés par la SP à votre cerveau et à votre moelle épinière. C’est pourquoi plusieurs d’entre vous tolèrent si mal les infections et souvent ne récupèrent pas leurs valeurs de base après une infection grave».
Je ne suis pas une scientifique, mais on dirait que les cytokines sont des suppôts de Satan, envoyés pour provoquer une bataille de taverne entre la microglie chaude et mon cerveau. Ça s’annonce mal. Le risque de ne pas «récupérer nos valeurs de base», c’est-à-dire l’état dans lequel on était avant l’infection, c’est ce qui rend les rhumes et les grippes cauchemardesques pour les personnes atteintes de SP. Dans cette sombre histoire de Noël, j’ai vu apparaitre, semblable à un fantôme de Dickens, le spectre d’un avenir où je serais moins autonome (pour dire les choses gentiment). Le weekend dernier, j’ai connu ce qu’on peut ressentir quand on doit demander de l’aide.
Pour tout. Absolument. Tout.
Ma pseudo poussée m’a jetée dans une relation inconfortable de dépendance avec mon mari où je m’excusais pour des choses que je ne pouvais contrôler, mais dont je me sentais quand même responsable. J’ai ressenti le découragement qui vient à force de répéter s’il vous plait et merci pour des choses que je n’aurais jamais voulu devoir demander.
Et j’ai détesté ça.
Tout au long de l’année, je m’étais sentie plutôt bien et mentalement forte. Je n’avais pas obsédé avec des scénarios d’incapacité. Et là, du jour au lendemain, je me retrouve devant la probabilité bien réelle de ces scénarios. Une réalité de plus en plus proche. Je suis tout simplement incapable de l’imaginer.
Je ne l’imaginerai donc pas. Ou je vais arrêter de l’imaginer. Maintenant que j’ai laissé parler mes peurs, je dois les remettre dans une boite et les bruler. Lorsque mes symptômes de grippe ont commencé à se résorber, ma force et mon indépendance ont heureusement commencé à revenir. Je suis toujours en convalescence, et je croise les doigts. Je vais revenir à mes valeurs de base.
Aujourd’hui au moins, je vais bien. Et ça devrait suffire.
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