J’ai d’abord publié ce billet (en anglais) sur Damsel in a dress à titre de blogueuse invitée.
Je m’appelle Ardra, je suis la fille derrière Tripping on Air, un blogue vaguement irrévérencieux où je parle de ma vie avec la sclérose en plaques (SP). Mes lectrices et lecteurs me disent que c’est drôle et je les crois parce que je suis égocentrique. Alors, Lisa m’a demandé d’écrire un billet là-dessus: pourquoi utiliser l’humour pour parler d’un sujet aussi fucking épouvantable.
Ou Lisa est paresseuse ou elle vient d’être opérée ou n’importe quoi parce qu’elle connait déjà la réponse à sa question — elle-même écrit avec humour et c’est vachement drôle. Je n’ai pas été opérée, mais je suis aussi paresseuse, alors heureusement pour moi, la réponse est facile. Entre autres parce que je l’ai empruntée à l’autrice, aujourd’hui disparue, Nora Ephron, qui excellait dans le récit comique de ses malheurs.
«Quand tu glisses sur une peau de banane, les gens rient de toi. Mais quand tu racontes que tu as glissé sur une peau de banane, c’est toi qui contrôles le rire.»
Remplacez «glisser sur une peau de banane» par «pisser dans ses culottes en public» et ça résume assez bien pourquoi j’écris sur ma vie: pour contrôler l’histoire. Vous ne pouvez pas chuchoter dans mon dos que ma vie est une tragédie si j’ai décidé que c’était plutôt une comédie romantique. Avant de bloguer, j’avais l’impression qu’il y avait autant de versions de mon histoire qu’il y avait de personnes. Mais je possède les droits exclusifs et je veux raconter mon histoire dans mes propres mots — pas toujours très propres. Je n’ai pas décidé un matin d’écrire un blogue «comique», c’est juste que j’aime raconter les histoires avec humour.
Quand je parle des bienfaits du rire, je peux m’appuyer sur la science. Il s’avère que c’est bon pour vous de faire des blagues avec vos malheurs. Bien qu’officiellement votre traitement médical soit probablement votre meilleur remède, si vous avez une maladie chronique comme la SP, vous savez déjà que c’est un peu de la bullshit, sinon vous ne seriez plus malade. La bonne nouvelle, c’est que le rire comporte d’importants bénéfices pour la santé. Des petits malins de l’Université Johns-Hopkins disent que le rire peut être bon pour le sommeil et la mémoire; il peut renforcer votre système immunitaire, soulager la douleur, réduire le stress, agir sur la dépression et l’anxiété. Si le rire était une drogue, on l’achèterait dans le fond d’une ruelle sombre d’un pusher qui répond au nom de Cheeseburger.
Pour moi, cette raison arrive en tête parce que, je l’ai déjà dit, je suis paresseuse. Selon la science, le rire stimule des organes comme le cœur et les poumons, il peut améliorer la circulation et favoriser la relaxation musculaire. Bref, c’est comme s’entrainer sans suer. Ou mettre un soutien-gorge. Je m’abonne.
Écouter quelqu’un parler de maladie, ça peut être sombre, déprimant, ennuyant, chiant. Mais quand on en rit, c’est comme prendre une shot de vodka grosse cuillérée de miel pour faire passer une information désagréable. On écoute plus facilement un message pénible quand le messager est capable de nous faire rire.
Pourquoi je m’en ferais avec ce que vous ressentez alors que c’est moi qui suis affligée de la fucking maladie? Bien, si vous êtes triste, je suis triste; vous avez peur, j’ai peur. L’humour est une manière de rassurer les autres et de leur laisser savoir que je vais bien (vous pouvez me fréquenter sans danger). Parfois, c’est en essayant de convaincre les autres que je me convaincs moi-même. Être drôle est une sorte de stratégie de survie.
L’humour peut dénouer des situations embarrassantes. Ça détend l’atmosphère en permettant à l’autre de ne plus être triste «parce que la fille qui est malade a dit que je pouvais rire». La personne qui fait des blagues peut être en train de réinterpréter sa condition pour la rendre plus facile à supporter.
La maladie, le handicap, peu importe comment on l’appelle, c’est normal. Mais on fait comme si c’était anormal. Les gens sont mal à l’aise face à la maladie et on le ressent. Quand vous me regardez bizarrement, vous me faites me sentir bizarre. Et ça fait chier. L’humour peut aider à normaliser les choses, à les humaniser. Mieux, il peut briser les tabous et remettre en question les idées tordues qu’on entretient sur la vie des personnes malades.
Faire une blague sur les nazis pouvait vous mériter la peine de mort sous Hitler, c’est dire comment les méchants se sentent menacés par l’humour. La satire, les blagues ont toujours été une forme de résistance. Même si techniquement, c’est la sclérose en plaques qui mène, je peux me sentir au-dessus quand je me moque d’elle. L’humour est une arme qui me donne le sentiment de dominer une situation qui m’a été imposée. La SP est un infâme dictateur qui a besoin de se faire remettre à sa place. Je suis plus forte que toi, SP. Tu peux prendre mes jambes, mais tu ne peux pas me briser. Non, tu ne me forceras pas à souffrir. Hey, t’es pas mon boss! Etc.
Le rire nous force à vivre l’instant présent et nous amène dans une émotion positive sans avoir à méditer. Dans sa forme la plus puissante, le rire est une expérience partagée qui renforce les liens. On aime les gens qui nous font rire et qui s’esclaffent devant nos blagues. C’est comme dire: «Je te comprends. Je sais d’où tu viens.» On se sent reconnu.
Comme tout médicament, le rire peut avoir des effets secondaires inquiétants, comme des maux de tête ou le hoquet. Ça peut aussi vous faire pisser dans vos culottes et, dans de rares cas, provoquer la mort. Sans blague. On peut littéralement mourir de rire. Même les chatouilles peuvent provoquer une hernie abdominale ou vous faire avaler un corps étranger qui va vous étouffer. Il n’y a pas de quoi rire. Quoique…
Je ne peux pas vous dire que tous vos problèmes vont disparaitre si vous devenez drôle. Honnêtement, je ne crois pas que ma maladie soit comique. Et mon blogue n’est pas drôle tout le temps. En fait, je suis certaine qu’il y a des gens qui trouvent que ce n’est pas drôle du tout (ils ont tort). Je passe une grosse partie de mon temps à me sentir frustrée, triste ou furieuse pour ce qui m’arrive. Je gueule et je pleure autant que n’importe qui. C’est épuisant. Chercher la petite blague comique alors que la situation n’a rien de drôle m’aide à échapper aux émotions négatives. C’est cathartique, ça guérit. Si vous n’avez pas encore essayé, vous devriez.
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