Un jour, dans le temps prépandémique, alors que j’allais faire mes analyses sanguines mensuelles, je me dirigeais lentement vers l’entrée de la clinique avec mon déambulateur quand j’ai entendu des pas précipités derrière moi. Au moment où j’allais toucher l’ouvre-porte automatique, une femme s’est lancée devant moi et, de tout son poids, a appuyé sur le gros bouton. Bang. J’aurais voulu lui dire «Sérieux?», mais elle était tellement fière que je me suis sentie obligée de reconnaitre à quel point elle était vertueuse. Je l’ai gentiment remerciée de m’avoir sauvé la vie.
J’aimerais pouvoir dire que c’est la seule fois où quelqu’un s’est précipité devant moi pour appuyer sur un bouton avec l’air de se prendre pour un bouclier humain. J’aimerais pouvoir dire que la dernière fois que quelqu’un a lacé mes souliers, j’avais quatre ans. J’aimerais pouvoir dire que ce n’est arrivé qu’une seule fois qu’un chauffeur Uber ait entrepris d’attacher ma ceinture de sécurité. Je ne sais pas pourquoi ma démarche lente laisse croire que mes bras ne fonctionnent pas (ils fonctionnent), mais j’ai l’impression que ces bonnes personnes ne se sont jamais demandé de quoi j’avais vraiment besoin. En fait, tout cet étalage de bienveillance ne vise pas tant à m’aider moi qu’à se montrer, eux. C’est pour ça qu’on parle d’ostentation.
On veut montrer qu’on se soucie de moi, montrer qu’on veut m’aider, bref montrer qu’on est une bonne personne. Une personne vertueuse. Comment pourrais-je en vouloir à ces gens-là? Nous avons besoin de personnes comme elles.
Je ne leur en veux pas. Enfin, pas vraiment. Mais ça me dérange.
On est tous coupables de vertu ostentatoire (virtue signalling en anglais). Tout le monde fait ça. Tout le temps. (O.K., peut-être pas tout le monde. Si vous vous assoyez les jambes écartées dans le métro et faites semblant de ne pas voir que quelqu’un a besoin de votre siège, ce billet ne s’adresse pas à vous. Retournez dans votre caverne.)
La vertu ostentatoire, c’est faire des actions parfaitement inutiles, ou bonnes actions (BA), qui démontrent à quel point vous êtes une personne vertueuse. C’est bête parce que personne n’a envie d’être votre bonne action.
Autant je reconnais la vertu ostentatoire quand je la vois chez quelqu’un d’autre, autant je la reconnais chez moi. (Hé, je viens de vous dire qu’on le faisait tous.)
Quelques exemples horribles de ma propre vertu ostentatoire:
Je grimace en écrivant tout cela. J’aime mieux vous raconter que j’ai pissé dans ma culotte que d’avouer ce genre de comportements, tellement plus embarrassants. Mais c’est comme ça.
J’ai fait tous ces trucs d’un mauvais goût puant parce que je voulais que les gens sachent que je suis une alliée, que je suis de leur bord. Je soutiens la diversité et la liberté religieuse et les communautés LGBTQ+. La dernière chose que je voudrais faire, c’est être condescendante envers quiconque ne jouit pas des mêmes privilèges que moi, comme cette brochette de vedettes qui ont chanté Imagine pour se divertir en confinement. Comme Will Ferrell, je fais de gros efforts pour ne pas avoir l’air condescendante.
J’ai le cœur à la bonne place, non?
Bien sûr. Mais on s’en fout. La vertu ostentatoire, c’est essentiellement du m’as-tu-vu, et tout le monde hait les m’as-tu-vu, Kanye. Mais c’est difficile de critiquer la vertu ostentatoire parce qu’elle parait inoffensive et que ce sont les intentions qui comptent et que dans tous ces exemples, les intentions étaient bonnes. Il y a cependant une raison pour laquelle nous devrions être vigilants.
Quand je suis visée par ces gestes bien intentionnés, mais absolument inutiles, je me rends compte qu’ils ne me font pas me sentir mieux ou soutenue. Ils font juste me faire sentir différente. Et jamais de manière positive. Probablement que les gens à qui j’ai exprimé mon soutien inopportun se sont sentis plus différents qu’inclus.
Oui, ce sont des outrages infiniment petits. C’est le prix à payer pour vivre dans une société où on se demande encore quoi faire avec nos différences. Mais ce genre de microagressions, c’est comme des piqures d’insectes. Si vous en avez juste une par année, vous n’en ferez pas un cas et ne développerez pas la malaria. Mais si un insecte vous pique chaque fois que vous sortez de chez vous, vous pourriez commencer à agiter les bras pour vous défendre chaque fois que quelqu’un s’approche de vous.
La vertu ostentatoire n’a rien à voir avec les causes qu’on soutient. Elle a à voir avec notre égo et avec notre représentation. Dire aux gens qu’on est de leur bord de cette manière parfaitement inutile ne fait absolument rien pour changer les choses (#jesuischarlie, mais je ne me souviens plus pourquoi). Mais ce n’est pas parce que vous faites étalage de votre vertu que vous ne vous sentez pas sincèrement concerné. De fait, vous l’êtes probablement (le terrorisme est mauvais, la satire est bonne).
La plupart des gens, je pense, sont sincères, mais avec toutes les causes qui méritent notre attention, c’est difficile de se sentir concerné par celles qui ne nous affectent pas directement. On a besoin de toutes nos ressources juste pour nous occuper de nous-mêmes et des personnes qu’on aime. Pour devenir un véritable allié, on doit s’intéresser à l’autre, apprendre à connaitre cette personne différente de nous, que ce soit dans le monde physique ou virtuel. Qu’elle soit dirigée vers les personnes atteintes de sclérose en plaques ou d’une autre maladie invalidante ou vers toute personne marginalisée, seule ou en groupe, la vertu ostentatoire n’a juste pas de bon sens. La bonne nouvelle, c’est que la plupart d’entre nous sont capables de solidarité. Plus nous nous connaissons les uns les autres, plus nous devenons de meilleurs êtres humains.
Suivez Tripping on Air sur Facebook et Instagram.