La sclérose en plaques et la peur de dépendre des autres

La dernière fois où la sclérose en plaques (SP) m’a fait toucher le fond, c’était dans un motel trendy au milieu de nulle part dans le nord de l’Ontario. J’étais partie avec le Banquier pour un petit congé de deux jours, mais c’est de mon corps que j’avais vraiment envie de prendre congé. Sauf que mon corps, lui, était plutôt genre C’est vraiment pas le moment. Je dois faire des heures sup pour me payer un nouveau sac à main et là, je m’en vais au centre-ville, j’ai juste le temps pour une autre infection urinaire. À tantôt pour notre douleur nerveuse 😘 Bye! Ben non, je te taquine, c’est l’heure de tes spasmes à la jambe. Et surveille ce pied qui brûle!

Mon anxiété était au comble parce que j’étais incapable de faire quoi que ce soit qui ressemble à des activités de vacances et que je culpabilisais à l’idée de dépenser autant d’argent juste pour regarder les quatre murs d’une chambre. Je me suis mise à flipper raide quand, au bout de 45 minutes, le Banquier n’était toujours pas revenu alors qu’il était parti chercher du take-out dans un restaurant à trois minutes du motel.

Vous vous dites que j’avais juste à lui texter Ça va ? Bien sûr. Mais mon téléphone était sur la charge de l’autre côté du lit king. Et là, vous dites Ben, t’as juste à t’étirer pour le récupérer… Bravo, si vous pensez comme ça, c’est que votre corps fonctionne mieux que le mien. Pour récupérer mon téléphone, il aurait fallu que je me hisse dans le lit pour m’asseoir, que je prenne ensuite mes jambes dans mes bras pour les poser sur le bord du lit, que je pose les pieds au sol puis que j’agrippe mon déambulateur pour faire le tour du lit avec mes jambes raides. Le tout m’aurait pris deux minutes. Et si vous trouvez que deux minutes, c’est long, bravo encore une fois. Selon un site sur les mathématiques que je viens de consulter, ces deux minutes pour calmer mon esprit m’auraient coûté 2 900 % plus d’énergie que de rester couchée.

J’ai décidé de soupeser les risques à la place

D’un côté de la balance, le Banquier n’est pas vite, vite (il n’est pas stupide, mais il vit dans un espace-temps ralenti et il parle à absolument tout le monde qu’il croise). Et puis, il perd facilement son chemin, même avec un GPS. Il est du genre à prendre la route panoramique et à jaser avec les employés du restaurant.

De l’autre côté, j’étais sur le point de me foutre en l’air.

Peut-être qu’il a été frappé par une stalactite en se rendant à l’auto? Peut-être qu’un ours, au sortir de son hibernation, l’a attaqué pour lui voler notre lunch? Peut-être qu’il a fait monter un auto-stoppeur et qu’ils sont devenus les meilleurs amis du monde? Ils seront partis sur un road trip en m’oubliant complètement.

Mon imagination galopait. Les ours n’aiment peut-être pas le Pad Thaï, mais les chutes de stalactites tuent en moyenne 15 personnes par année aux États-Unis. Cela dit, mon esprit s’est vite désintéressé du triste sort du Banquier pour penser à comment j’allais gérer cette catastrophe.

Le scénario cauchemar

Je me suis imaginée recevant un appel du genre Madame, nous avons trouvé un homme gisant dans une flaque d’eau dans le stationnement. Il faut que vous veniez immédiatement. Il y a aussi un ours qui se dit allergique aux arachides, il n’attaquerait jamais quelqu’un pour un Pad Thaï. Et puis, il y a un gars avec un baluchon sur l’épaule qui dit qu’il est de la famille. 

Je ne conduis pas. La ville n’est pas assez grande pour qu’il y ait des Uber. Et même s’il y avait des tracteurs ou des motoneiges Uber pour me conduire sur les lieux de l’incident, je fais quoi après? Comment je retourne à Toronto? Je ne suis pas assez forte pour mettre les bagages dans la voiture. Je ne suis même pas assez forte pour sortir le chien qui, en passant, a tout deviné et regarde par la fenêtre en attendant désespérément le retour du Banquier.

Exit Miss Indépendance

Je me sentais complètement impuissante. À trois heures de la maison, prisonnière dans un motel du genre Misery, le film, mais dans ma version, la sclérose en plaques remplaçait Kathy Bates. Je me sentais comme une enfant, mais une enfant qui n’était pas moi puisque j’étais plutôt auto-suffisante quand j’étais petite, comme ces petites Japonaises de quatre ans qui prennent le métro toutes seules et font les rapports d’impôts de toute la famille.

Je suis heureuse de savoir qu’il y a des gens plus handicapés que moi qui dirigent leur vie en vrais PDG, qui organisent et gèrent leurs soins avec brio et autorité, et qui se sentent ainsi renforcés. Je sais que je suis une adulte intelligente, pleine de ressources et que si on m’en donne le temps, je trouve des solutions. Je suis capable de m’assurer que le chien est en sécurité, que le frigo est plein, que la salle de bain est assez propre. Je n’ai aucun problème à donner des ordres.

S’il y avait eu une urgence, des gens m’auraient aidée. Mais des gens différents de ceux qui m’aident déjà la plupart du temps.

Ma SP a progressé de manière lente et insidieuse. La liste des tâches auxquelles contribue le Banquier n’est pas apparue du jour au lendemain, mais graduellement. De sorte que j’en suis venue à me croire plus indépendante que je ne le suis en réalité. Au fond de mon lit, dans ce chic motel, la réalité m’a rattrapée: être handicapé signifie qu’on a besoin d’aide à un moment ou à un autre. On n’y échappe pas.

Je dois me sentir à l’aise de demander de l’aide — et d’en recevoir. Sinon, je ne m’en sortirai pas en cas d’apocalypse.

Plus facile à dire qu’à faire

Dans notre culture, on associe la dépendance à la faiblesse, à l’impuissance. C’est un poids qu’on fait porter aux autres. À l’opposé, l’indépendance est plus qu’un objectif à atteindre ou un style de vie, c’est une vertu. On parle de «gagner» sa vie comme s’il ne suffisait pas de vivre pour mériter d’exister. Dans les sondages sur la qualité de vie, on mesure notre degré de satisfaction à l’aune de notre sentiment d’indépendance.

On embobine les vieux et les infirmes dans des mots séduisants qui renforcent le besoin d’auto-suffisance. La «vie autonome» est un slogan qui, tout comme l’«anti-âge» exploite nos peurs, nous rappelle ce que nous essayons d’éviter. Qu’est-ce qui rend l’auto-suffisance si désirable? Comment pouvons-nous souhaiter ne dépendre de personne, croire que ne compter que sur soi-même est un idéal à atteindre alors qu’on serait tous morts si on ne pouvait s’appuyer les uns sur les autres?

Accepter l’aide avec grâce

L’indépendance absolue est un mythe. Vous savez qui reçoit beaucoup d’aide? Oprah. Mariah Carey est probablement la personne la moins indépendante sur Terre. Et si on arrêtait de présenter l’indépendance comme une qualité intrinsèquement souhaitable? Si on adoptait une approche plus neutre? On pourrait commencer par remplacer le mot par un autre, plus fidèle à la réalité: interdépendance. Nous avons tous besoin les uns des autres et nous avons tous quelque chose à offrir.

«Personne ne peut être complètement indépendant, alors pourquoi ne pas renoncer à nos efforts, aller dans la direction opposée, s’appuyer sur les autres pour tout, leur permettre de s’appuyer sur nous, pourquoi pas?» — Sally Rooney, Normal People

Nos handicaps nous rendent vulnérables, on doit apprendre à vivre en se sentant parfois sans défense. Être handicapé nous oblige à faire confiance aux autres avec la certitude qu’ils agiront pour notre mieux, dans notre intérêt. Trouver une certaine aisance à demander et à recevoir de l’aide quand on est handicapé n’est pas une option, c’est une obligation. Il en va de notre survie.

Dans le balado d’avril

Ce mois-ci, Alex et moi démêlons le vrai du faux en creusant les 10 plus grands mythes sur la sclérose en plaques. Certains sont plus sérieux que d’autres.

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PS Le Banquier va bien. Le restaurant s’était trompé dans la commande, il a dû attendre. Le type au baluchon viendra peut-être au réveillon de Noël. S’il se trouve un lift.

Tous sains et saufs

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