Croyez-vous que la SP fait de vous un boulet?

Brisez ces chaines!

Je suis une super nana, indépendante, sure d’elle, autonome. Alors peux-tu m’apporter mon cellulaire et ma bouteille d’eau, ajuster le coussin sous mes pieds, brancher la couverture chauffante et recouvrir mon pied droit, mais pas le gauche, jeter cette poignée de kleenex sales, monter le chauffage et me dire encore comment ça te fait plaisir de faire tout ça pour moi. Si tu n’as pas encore fini la vaisselle et la lessive, pas de soucis, je peux attendre. Un peu.

J’aime bien que mes raisins soient pelés et que mon eau soit à la température de la pièce.

Comment arrêter de penser que la sclérose en plaques (SP) fait de vous un boulet

En tant que personne vivant avec la sclérose en plaques, je passe beaucoup de temps à départager mes désirs de mes besoins avant de les mettre dans la balance de mon énergie. Ensuite, je demande — en m’excusant — de l’aide pour passer à travers la journée. «Désolée de te déranger, mais…» «Pendant que t’es debout, pourrais-tu me…» «Chéri, est-ce que ça te dérangerait de…» et je continue comme ça jusqu’au soir. Tous les jours. La plupart du temps, ça me laisse un arrière-gout.

Depuis le début de la pandémie, presque toutes mes demandes d’aide s’adressent au Banquier. J’ai l’air d’une princesse chouchoutée par son chevalier servant, mais la vérité, c’est que toujours demander de l’aide finit par devenir déprimant. J’essaie de ne pas me sentir humiliée chaque fois que je suis coincée dans un pull ou que j’ai besoin d’aide pour me relever. Avec la SP, c’est sûr que j’aurai toujours besoin d’aide, alors je ferais mieux de trouver une façon de bien vivre avec ça, parce que la déprime ne fait pas partie de mes options.

Quand la sclérose en plaques vous donne l’impression d’être un fardeau

C’est plus facile de vivre avec la sclérose en plaques quand on a de l’aide. C’est évident. Rendons grâce aux aidantes et aux aidants! Il existe mille-et-une façons d’aider une personne aux prises avec la SP. Ça peut être de lui apporter son café, de la laisser se vider le cœur sans l’interrompre ou de ne pas lui en vouloir quand la fatigue l’oblige à annuler une sortie. Ça peut être plus intime aussi, comme l’aider à s’habiller ou à prendre une douche — et n’importe quoi entre les deux.

Je reconnais la chance que j’ai d’avoir un mari qui sort le chien tous les matins sous zéro et une best qui m’a offert plus d’une fois de m’épiler les jambes. Pour tous ces cadeaux, j’éprouve de la gratitude.

«Peux-tu m’aider à enlever mon pantalon sans que ça ait l’air sexuel?». Pour vrai, j’ai déjà demandé ça.

Mais comment distinguer la gratitude du sentiment d’être redevable ou pitoyable? À trop dire merci, on peut avoir l’air de quêter la confirmation que notre vie mérite que les autres se donnent tout ce mal. C’est dégoutant.

La dépendance a un problème d’image

Je n’ai pas de problème à reconnaitre ma dépendance à Netflix ou à Amazon. Je n’ai pas honte d’admettre mon addiction au sel de Miss Vickie’s. Mais ma dépendance à une autre personne pour ramasser mon colis d’Amazon ou pour attraper le sac de Miss Vickie’s sur la tablette du haut? Ça me fout le cafard. Je devrais être capable de faire ça toute seule. La SP peut saper notre sentiment d’indépendance, et le fait d’avoir besoin d’aide peut nous donner l’impression d’être un fardeau pour notre entourage.

Si tu veux te débarrasser de moi, traite-moi de fardeau.

Nous vivons dans une culture qui place l’indépendance et la productivité au-dessus de tout. Même chez les personnes malades, on nous encourage constamment à maintenir, voire à améliorer notre indépendance. Je n’ai rien contre ça en théorie: je travaille fort pour préserver mon autonomie. L’ennui, c’est qu’on n’apprend pas à recevoir de l’aide si la seule option qui existe, c’est l’indépendance. Nous renforçons la croyance qu’avoir besoin d’aide ou dépendre des autres est une

Très. Mauvaise. Chose.

Ce qui ne rend service à personne. Au sens strict, la totale indépendance est impossible (avez-vous fabriqué votre voiture?) et malsaine (même Tom Hanks pouvait compter sur Wilson dans Seul au monde). Avec la sclérose en plaques, quand on valorise le dépassement de ses propres limites et qu’on se met de la pression pour être le plus indépendant possible, ça devient toxique. Ça fait de nous des personnes qui deviennent trop fières pour demander de l’aide, qui hésitent à faire des pauses, qui ont honte d’utiliser des aides à la mobilité et qui ont l’impression d’être ratées.

Ils dramatisent. Je ne suis pas plus lourde qu’une putain de plume.

Pourquoi il faut arrêter de penser que la SP fait de vous un boulet

Accepter de l’aide, c’est accepter qu’on vous aime.

Si vos enfants vous ont déjà préparé un café dégueulasse et des crêpes à moitié cuites pour la fête des Mères, vous savez qu’en acceptant avec grâce même la pire offrande vous faites un cadeau à la personne qui l’offre. On n’est pas obligé d’accepter la BA inutile du premier quidam (je pense à toi, le serviable-agressif, obsédé du bouton d’ascenseur), mais quand on s’entête à refuser l’aide dont on a vraiment besoin, c’est l’amour qu’on risque de refuser.

Mes jambes sont un peu lentes, alors profites-en pour te donner en spectacle en courant appuyer sur le bouton d’ascenseur avant moi.

Accepter de l’aide améliore les relations

Quand on demande de l’aide, on bâtit la confiance et la reconnaissance. Laisser l’autre faire quelque chose de bien pour nous lui permet en retour de se sentir bien. Ça t’a fait du bien de m’apporter les chips? J’en suis ravie.

Tout le monde y gagne

Demander de l’aide quand on a la SP nous permet de consacrer notre énergie à des choses plus nourrissantes pour notre couple que le pliage du linge.

Ça va, j’ai compris: donner, c’est mieux que recevoir. C’est pour ça que c’est chiant d’être toujours la personne qui reçoit?

Dans une relation, on donne et on prend. Quand on a la sclérose en plaques, on peut avoir l’impression d’être toujours en train de prendre. Alors, on se demande bien ce qu’on apporte à la relation. Peut-être qu’on n’a pas accordé assez de valeur aux choses qui comptent vraiment? Les tâches ménagères accomplies par le Banquier sont plus faciles à quantifier que le charme et l’esprit que j’apporte dans notre couple. Y compris au lit. Mais l’amour véritable n’est pas calculateur. Peut-être que ce n’est pas juste que le Banquier se tape le nettoyage de la toilette, mais ce n’est pas juste non plus que je me tape les lésions au cerveau.

La vie n’est pas juste. Et notre valeur ne se limite pas à ce que l’on peut faire pour l’autre.

Apprendre à recevoir et arrêter de penser qu’on est un fardeau

Arrêtez de demander pardon et lâchez les interminables remerciements

Vous n’avez pas demandé à avoir la sclérose en plaques. La SP n’est pas de votre faute. Quand on demande pardon sans arrêt à ceux qui nous aident à combler des besoins vitaux, nous renforçons l’idée (dans notre tête et dans celle des autres) que nous ne sommes pas dignes de leur aide. Et en insistant trop sur les remerciements, on peut donner à la personne qui nous aide l’impression qu’on doute de ses intentions, qu’on croit que son aide est intéressée. De plus, les excuses et les mercis sans fin peuvent accroitre notre sentiment de honte et aviver la douleur de se sentir pitoyable. Douleur que nous nous infligeons à nous-mêmes de temps en temps.

Acceptez que vous allez déranger. Des fois.

Parfois, quand je demande de l’aide, la réponse est loin d’être enthousiaste. Rien de franchement hostile, plutôt une résignation muette. Je fais de gros efforts pour ne pas m’imposer, pour ne pas devenir un fucking fardeau, mais récemment, j’ai eu une illumination. J’ai compris la différence entre être un fardeau et être agaçant. Je reconnais que parfois, c’est pénible de m’aider. Quand tu viens juste de t’assoir confortablement, ça peut être fucking irritant d’être obligé de te lever pour aller chercher les putain de chips médicaments vitaux. Pas besoin de faire semblant que t’es content de ramasser le vase brisé que je viens de renverser, plein d’eau croupie et de tulipes fanées. Parce que sais-tu quoi? Même la personne la plus serviable peut être agaçante à ses heures. Ça arrive à tout le monde. Et même quand on a une relation saine, on peut se taper sur les nerfs de temps en temps.

Aider et être aidé n’a rien à voir n’est pas une affaire de fardeau, c’est du savoir-vivre-ensemble.

Je comprends que ce ne sont pas toutes les personnes atteintes de SP qui peuvent compter sur un aidant serviable tout le temps. Si vous vous occupez d’une personne qui a la sclérose en plaques ou une autre maladie chronique, c’est important de ne pas laisser la colère interférer avec les soins que vous lui donnez. Refuser d’aider l’autre parce qu’on est en colère contre elle ou lui risque de lui causer des dommages psychologiques sévères. Vous ne voulez pas ça.

Faites savoir à vos aidants qu’ils peuvent et doivent aussi vous demander de l’aide

Le Banquier est excessivement serviable: il fait passer les besoins de tout le monde avant les siens. Comme vous en avez marre de l’analogie avec le masque à oxygène (à mettre sur votre visage avant d’aider votre enfant), je vais vous raconter une autre histoire. Elle est un peu plus dégoutante, mais elle illustre bien les pièges qui vous guettent si vous vous occupez des besoins des autres en priorité.

Puisque mes besoins passent avant les siens, le Banquier ne s’opposera pas à ce que je partage avec vous ce moment intime de sa vie. C’était la veille d’une coloscopie de routine à laquelle il se préparait comme il se doit. Le même soir, j’avais une répétition de chorale. Une répétition. Pas une affaire de vie ou de mort. Après plusieurs échanges de textos «t’es sure que ça va aller?», le Banquier a insisté pour venir me chercher, même si je pouvais très bien rentrer en taxi. Quand je suis montée dans la voiture, il n’avait pas l’air bien. Il n’a pas dit un mot de tout le trajet, il en était incapable. Dès qu’on est arrivés dans le parking sous-terrain, il a bondi hors de l’auto et s’est mis à vomir des jets de PegLyte comme s’il passait une audition pour un remake de l’Exorciste.

Le Banquier n’a jamais refusé de m’aider, mais il n’est pas très bon pour s’aider lui-même et il est particulièrement pourri pour demander de l’aide. Ce genre de sacrifice de soi n’a rien de vertueux. Même Jésus acceptait de l’aide de temps en temps.

Les gens autour de vous peuvent hésiter à vous demander de l’aide parce qu’ils savent que votre cour est déjà pleine avec la SP. Mais, chères aidantes et chers aidants, ne nous refusez pas la chance de vous aider. Ce n’est pas parce qu’on a la sclérose en plaques qu’on n’a rien à vous donner.

Selon Brené Brown, «tant qu’on est incapable de recevoir de bon cœur, on ne peut pas donner de bon cœur».

Allez-vous vous disputer avec Brené Brown et avec Jésus? Ouais, il me semblait aussi.

Communiquez vos besoins en terrain neutre

Y a-t-il des choses pour lesquelles vous avez toujours besoin d’aide? Plutôt que de demander de l’aide un million de fois par jour, je trouve qu’il est plus utile de parler à intervalles réguliers des choses qui sont particulièrement difficiles pour moi. Celles-ci ne sont pas nécessairement évidentes, par exemple, faire le lit, préparer une bouillotte, déplacer une chaise. En pré-négociant vos besoins d’aide récurrents, vous pourriez vous épargner, de même qu’à l’être cher, l’irritation qui vient avec les demandes répétées ou qui tombent au mauvais moment.

Nous avons tous besoin les uns des autres

Il fut un temps où on s’entraidait pour survivre, du genre aide-moi à ne pas me faire bouffer par ce tigre. Aujourd’hui, on a été conditionné à croire qu’avoir besoin d’aide fait de nous des êtres diminués.

Deux-mille mots plus tard, je n’ai toujours pas résolu cette question de dépendance. Je me sens encore comme une diva du calibre de Mariah Carey, handicapée (mais consciente), quand je demande encore un autre verre d’eau et un ajustement de température, alors qu’on est en train de plier mes chaussettes. Mais quand je pense aux choses qui comptent, quand je revois le Banquier qui me serre, fiévreuse, contre lui pour que j’arrête de trembler ou qui m’accompagne, dans un pays étranger, pendant qu’un médecin me fait une ponction lombaire ou qui déploie Optimus Prime à Paris pour qu’on puisse flâner dans la ville ensemble, je ne me sens pas comme un fardeau. Je suis le contraire d’une personne diminuée. Je me sens plus forte, comme si nous formions une équipe. Quand je pense à ces gestes d’amour, je me rappelle que je suis digne d’être aidée.

Tout comme vous.

Si vous n’êtes pas convaincu et continuez de penser que la SP fait de vous un boulet, allez écouter ce TedTalk qui m’a aidée. Vous allez comprendre qu’en lui demandant de l’aide, vous faites un cadeau à l’autre.

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