La semaine dernière, à l’heure de l’apéro, alors qu’on se racontait nos journées, le Banquier m’a relaté une conversation qu’il avait eue avec un collègue de la banque. Au cours de ladite conversation, il avait parlé de lui-même comme de mon proche aidant. Heureusement pour lui que j’avais un peu bu et que je n’ai pas le vin mauvais.
Je n’avais jamais entendu le Banquier utiliser le mot en P avant, du moins pas en lien avec moi. Je n’ai vraiment pas été impressionnée.
Avec le Banquier, nous avons une liste de sujets interdits dans la maison. Bon, j’avoue, c’est plutôt ma liste de sujets dont il ne peut parler. Ça inclut des questions comme « As-tu bien dormi ? » (je ne dors pas, il le sait), « À quelle heure veux-tu te lever ? » (je me lève quand je peux, il le sait) ou, avant de partir faire les courses « Est-ce que je te rapporte des Miss Vickies ? » (il le sait très bien, mais il veut me forcer à le dire). On n’avait jamais mis proche aidant dans la liste, parce que jusqu’à la semaine dernière, il n’en avait jamais été question.
Avant de vous dire pourquoi je déteste cette expression, je pense qu’il est important de clarifier de quoi je parle. La définition la plus simple, mais aussi la plus large et la plus neutre d’un aidant, c’est une personne qui en aide une autre. Jusque là, ça va. Le proche aidant, c’est « un membre de la famille ou une personne qui vit dans l’entourage immédiat d’un malade ou d’une personne ayant besoin d’assistance et qui assume la responsabilité de l’aide, du soutien et des soins quotidiens » (le Grand dictionnaire terminologique). La vache ! Le Banquier n’est pas responsable de mes soins quotidiens, putain ! Des sources gouvernementales (Québec), ajoutent à la définition que la proche aidance peut « entraîner des répercussions financières pour la personne proche aidante ou limiter sa capacité à prendre soin de sa propre santé physique et mentale ou à assumer ses autres responsabilités sociales et familiales ».
Là, j’éprouve un profond malaise. Être aidée ferait-il de moi une entrave dans la vie du Banquier ? Suis-je un boulet pour lui ?
Avec un bon avocat, le Banquier pourrait sans doute faire reconnaitre sa condition de proche aidant : c’est vrai que j’ai une saleté de maladie chronique et il pourrait arguer que l’aide qu’il me donne pour enfiler cette botte de Shrek fait partie des soins quotidiens dont il assume la lourde responsabilité.
Aider un proche peut prendre toutes sortes de formes, surtout si le ou la proche a une maladie à géométrie variable comme la sclérose en plaques (SP). Le Banquier fait la vaisselle, sort le chien et conduit la voiture. Je ne veux pas sous-estimer tout ce qu’il fait pour moi, mais est-ce que ça fait de lui un proche aidant ? Ça prend un village de professionnels de la santé et du soutien social pour gérer la SP, et je reconnais que c’est le Banquier qui met mon déambulateur dans le coffre de la voiture 100 % du temps. Mais je mange et m’habille toute seule, je gère mes rendez-vous et je prends moi-même toutes les décisions médicales qui me concernent. Toutes. Oui, le Banquier en fait beaucoup pour moi, mais il faut (me) rappeler que :
la personne responsable de la majeure partie des soins reliés à ma sclérose en plaques, c’est moi.
Est-ce que ma réaction est exagérée ? Bien sûr. Vous me connaissez. Mais on n’a pas le droit de dire n’importe quoi. Les mots ne sont pas inoffensifs, ils influencent la manière dont on se sent. Je pense que j’ai réagi à proche aidant parce que je ne veux pas me sentir comme un fucking fardeau pour mes proches (même quand je suis fucking fatiguée).
Je ne présente pas le Banquier comme mon amant parce qu’on n’est plus dans les années 1970 et que amant est un mot grossier et que, par dessus tout, ce n’est pas notre vie sexuelle qui définit notre relation. Même le mot mari a évolué depuis les années 1950. Je dis que le Banquier est mon partenaire, même si j’ai besoin de lui pour aller chercher les chips dans le haut de l’armoire et pour plier mon linge. Comment se sentir égaux si on s’appelle autrement ? Laisser mon partenaire devenir mon proche aidant, c’est comme laisser la sclérose en plaques définir notre relation. C’est laisser la maladie devenir la Chose la Plus Importante dans notre vie. Je préfère penser à la SP comme quelque chose qu’on gère en équipe, comme on le ferait de n’importe quelle crise.
De toute façon, dire proche aidant, c’est mauvais pour nous deux. Ce terme est associé à l’impuissance, à une dynamique parent/enfant. Ça n’a rien de sexy. De plus, les proches aidants peuvent se laisser envahir par un sentiment de responsabilité démesuré. Oui, la vie est plus facile quand le Banquier me prépare un martini ou remplit (deux fois par jour) mes bouillottes, mais je me plais à lui rappeler qu’il y a des Trippeuses et Trippeurs plus atteints que moi par la SP et qui néanmoins se passent très bien d’un aidant non rémunéré. Je le dis parce que j’ai besoin que le Banquier sache — que nous sachions tous les deux — que je suis dans la relation parce que j’ai choisi d’y être, pas parce que je suis obligée.
Avant la fin de l’apéro, le Banquier avait déjà justifié son titre de martyre en m’expliquant le contexte entourant son langage déplacé. Il avait tenté de faire comprendre son besoin de se protéger contre la covid en disant qu’il était « proche aidant d’une personne vulnérable ». Mon avocat lui a rétorqué qu’il aurait pu se contenter de « Ma femme fait partie des gens vulnérables ». Après tout, que l’on soit parents, partenaires ou amis, c’est normal de prendre soin de ceux qu’on aime, de les protéger.
J’ai finalement passé l’éponge. C’était sa première offense et il faut reconnaitre que depuis deux ans, on nous bassine avec les mots proche aidant et personnes vulnérables prononcés dans un même souffle. Et puis, le Banquier n’a pas protesté : il a compris tout ce que l’expression en P éveillait en moi, et que mon avocat était plus fort que le sien.
Mon rejet de l’étiquette proche aidant ne signifie pas que je rejette l’aide. Ce qui me choque, c’est que cette expression met toute la responsabilité des soins sur une seule personne. En passant sous silence tout ce que j’assume moi-même, on me fait sentir dépendante. Je sais qu’un jour je pourrais avoir besoin de beaucoup plus de soins que maintenant, mais on est encore loin de ce jour hypothétique. Dire dès maintenant proche aidant, c’est comme nous presser d’entrer dans une dynamique que ni lui ni moi ne souhaitons.
Les proches qui nous aiment, qui prennent soin de nous ne savent pas toujours où trouver de l’aide pour eux-mêmes. Pour cette raison, les termes proche aidant ou aidant naturel sont utiles : ils permettent d’identifier les ressources qui leur sont destinées et de développer des réseaux d’entraide. Sans compter qu’ils peuvent donner droit à un crédit d’impôt. Alors oui. Mais, s’il vous plait, ne les utilisez pas en ma présence.
Par ailleurs, si l’étiquette proche aidant convient à un proche qui a besoin de la reconnaissance qu’elle confère et que vous êtes à l’aise avec l’idée, ne faites pas attention à ce que je dis. Même chose si cette étiquette vous rassure en tant que proche aidé. Je ne veux surtout pas mettre mon nez dans votre relation. Comment vous négociez ce genre de détails ne regarde que vous.
Mon coup de gueule s’adresse à tous ceux et celles qui se sentent mal à l’aise à l’idée que leur partenaire soit un aidant, mais qui ne savent pas vraiment pourquoi, ni comment exprimer leur malaise. J’ai dit ici ce que je me dis à moi-même pour préserver qui je suis, alors que d’année en année, j’ai besoin de plus en plus de soins. Je veux juste me rappeler que je suis toujours dans la course.
Oui, j’ai besoin de toi dans mon équipe. Mais, je suis toujours la capitaine.
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Bonjour,
Je suis atteinte d’une sclérose en plaques depuis janvier 2004, qui a évolué, vraisemblablement, en phase secondaire progressive.
Je me suis reconnue dans cette notion de « proche aidant » car mon ex-mari (avant de partir, avec une autre évidemment) : divorce récent, a eu le culot de me dire : « que c’était peut-être même plus dur d’être accompagnant ». Alors, là, j’ai eu envie de bondir. Déni, quand tu nous tient…
C’est vrai que j’avais l’impression d’être un boulet.
Merci pour votre témoignage qui s’est avéré être vrai dans mon cas…
Merci d’avoir partagé votre propre témoignage. Rien de de tout cela n’est facile.