Quand on m’a diagnostiqué la sclérose en plaques (SP), je me suis demandé si un jour cette maladie m’enlèverait le goût de vivre. Mais c’est le genre d’idées noires qu’on ne nous encourage pas à partager ouvertement. Pourtant, c’est une question qui me parait tout à fait légitime quand tu viens d’apprendre que tu vas être malade pour le reste de ta vie.
On nous vend la SP comme une condition gérable. C’est vrai qu’il existe aujourd’hui plus de 20 traitements modificateurs de la maladie qui promettent de faire de la SP une maladie banale. Et on peut s’en réjouir parce que ces médicaments changent la vie de plusieurs personnes. Mais pas de toutes les personnes atteintes. Nous ne pouvons ignorer que pour certaines personnes, la SP peut être invalidante au point de rendre la vie insupportable.
Une des choses qui m’a le plus surprise depuis que je vis avec la SP, c’est comment je suis capable d’en prendre. Beaucoup plus que je l’imaginais au départ. Je découvre continuellement qu’une vie difficile n’est pas forcément sans joie. Malgré ça, quand de nouveaux symptômes apparaissent, je me mets à spéculer sur ce que l’avenir me réserve en me demandant jusqu’où je vais pouvoir supporter cette maladie.
La sclérose en plaques, c’est fucking sérieux. Alors, par les pouvoirs qui m’ont été conférés par Dieu et par Internet, je vous autorise à flipper de temps à autre.
Mais pas trop longtemps.
Traverser une crise existentielle de temps en temps, ce n’est pas comme porter à temps plein au fond de soi le sentiment qu’on ne peut plus continuer à vivre. Je reconnais ce que la SP nous inflige et je reconnais qu’on peut faire quelque chose pour se protéger contre les mauvais coups qu’elle nous réserve. Mais je peux concevoir aussi que certaines personnes choisissent de mourir de leur plein gré, dans la dignité.
Les personnes atteintes de sclérose en plaques sont deux fois plus à risque de suicide que la population en général. Mais il y a une différence entre vouloir en finir parce qu’une maladie progressive a rendu notre vie tellement misérable qu’elle est devenue insupportable et vouloir mettre fin à ses jours pour un motif passager ou modifiable. Quand on sait que la moitié des personnes qui ont la SP vont souffrir à un moment ou l’autre de dépression majeure – un facteur de risque aggravant – j’ai l’impression que c’est à nous, les personnes atteintes, de départager ce qui peut être modifié de ce qui ne peut l’être.
Quand, en 2021, le Canada a élargi l’accès à l’aide médicale à mourir (AMM) aux personnes atteintes « d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable », j’ai été soulagée. La sclérose en plaques répondait désormais aux critères d’admissibilité. Dans mes propres fantasmes de fin de vie, la seule option que j’avais, si je voulais mettre fin à mes jours dans la dignité, était un ultime voyage en Suisse. Bien que l’idée de quitter ce monde avec le jet lag me paraissait particulièrement cruelle, je trouvais que c’était un moindre mal pour pouvoir mourir d’une injection de chocolat médicamenteux.
Alors que mes visions molles et foireuses d’un avenir où je ne serais plus capable de gérer ma maladie ne sont qu’hypothétiques, l’existence bien réelle de l’AMM me rassure. C’est comme un laissez-passer pour une bonne mort, l’assurance que j’ai des options advenant le pire.
L’AMM est devenue encore plus réelle quand une Trippeuse et amie Internet, Jenny Angus, m’a contactée pour m’offrir un appareil qui ne lui était plus utile. Ensuite, elle m’a dit qu’elle avait demandé l’aide médicale à mourir.
Note : donner vos choses est un signe avant-coureur que vous songez peut-être à vous barrer pour de bon.
La demande de Jenny a été acceptée. Comment on se sent quand des personnes compétentes reconnaissent que la souffrance causée par la sclérose en plaques n’est plus endurable, ai-je demandé à Jenny. « Soulagée », qu’elle m’a répondu. Alors qu’elle vit dans un corps qu’elle ne peut contrôler, l’aide médicale à mourir lui accorde l’autonomie suprême.
La plupart des gens qui vivent avec la SP ne peuvent se prévaloir de l’aide médicale à mourir. C’est une option de dernier recours, et ceux qui l’autorisent doivent s’assurer que tout a été fait pour gérer les symptômes de la personne malade et optimiser sa qualité de vie afin d’éviter toute mort prématurée.
Jenny se définit elle-même comme une dure à cuire, mais la SP mène sa vie et la prive de sa raison d’être. Ancienne athlète et artiste, elle ne peut plus peindre parce que sa main et son bras sont devenus trop faibles. Est-ce que le Canada, la société, le monde en a fait assez pour soutenir sa qualité de vie ?
J’ai laissé Jenny se vider le coeur à propos du manque d’endroits accessibles, du cout hallucinant de la SP, de la stigmatisation des personnes handicapées et de la merditude accablante des soins à domicile. Après, je lui ai demandé comment elle se sentirait si le neurologue négligent qui n’avait pas su diagnostiquer sa sclérose en plaques – ce qui a fait qu’elle n’a pas été traitée pendant 10 années critiques – venait s’excuser pour tout ce que son erreur lui avait couté.
J’accepte que la science a besoin de temps pour trouver une façon de réparer les dommages causés au système nerveux et pour guérir la SP. En attendant, on vit dans un monde qui voit le suicide comme le summum de l’absurde, mais qui pense qu’il vaudrait mieux parfois être mort que handicapé. Il ne suffit pas de dire que la vie est précieuse, s’il te plait, ne meurs pas. Nous n’en faisons pas assez pour que la vie des personnes handicapées soit plus vivable. Nous avons abandonné les Jenny de ce monde.
Parmi les principaux facteurs qui peuvent mener les personnes qui ont la SP à rechercher une mort précoce, on retrouve le niveau d’invalidité, la dépression et l’isolement. Si vous voulez vivre une vie à la Betty White (NDT : actrice américaine morte à 100 ans moins quelques jours en 2021), il y a certaines choses que vous pouvez faire.
Le niveau d’invalidité étant un prédicteur du risque de suicide avec la SP, il faut chercher à prévenir cette invalidité et à en minimiser les impacts. La meilleure façon de le faire est de suivre un traitement modificateur de la maladie (médicaments immunomodulateurs). Plus vous commencez tôt, mieux c’est. Si, comme moi, vous avez été diagnostiqué avant l’avènement des médicaments les plus efficaces, ces traitements ne pourront sans doute pas réparer les dommages déjà causés, mais il y a de plus en plus de preuves qu’ils peuvent en empêcher de nouveaux.
La solitude réduit l’espérance de vie. Trouvez votre tribu.
Si vous avez la sclérose en plaques, vous devriez prendre au sérieux tout signe de dépression. Ne souffrez pas inutilement. Allez chercher de l’aide.
Demandez à votre médecin ou à votre clinique SP de vous recommander un ou une ergothérapeute qui peut vous donner des trucs pour préserver votre autonomie. Et puis, pour l’amour de Miss Vickies, envoyez chier vos préjugés sur le fait d’avoir besoin d’aide. Tout le monde a besoin d’aide. Débarrassez-vous de l’idée tordue que l’indépendance est une vertu.
Ça m’a donné un choc d’apprendre que les problèmes intestinaux étaient un facteur de risque de suicide démontré. Puis j’ai pensé à comment mes propres problèmes intestinaux pouvaient être dévastateurs. J’avoue, j’ai déjà été tentée de ne pas faire un test de dépistage du cancer du côlon juste pour m’éviter la préparation de la coloscopie avec un intestin neurogène. L’enfer. Sachez toutefois qu’un intestin neurogène, c’est comme la dépression, ça se soigne. Ça peut prendre beaucoup de travail et plus d’un médecin pour y arriver, mais il ne faut pas lâcher.
Ce n’est pas parce qu’une demande d’aide médicale à mourir est acceptée qu’on est obligé de s’y soumettre sur-le-champ. La Grande Faucheuse ne frappe pas à votre porte sitôt le feu vert donné. Contrairement à votre contrat de cellulaire, l’AMM vous laisse une marge de manœuvre. De fait, Jenny a 10 ans pour s’en prévaloir.
L’histoire de Jenny a connu un rebondissement au troisième acte. Je suis heureuse de vous annoncer que le rideau n’est pas encore tombé sur la scène finale. Grâce à l’amour et au soutien de ses amis, Jenny subit maintenant une transplantation de cellules souches hématopoïétiques au Mexique.
La transplantation de cellules souches (HSCT en anglais) est très efficace, en particulier au début de la maladie et lorsque celle-ci est active. Si vous avez la sclérose en plaques, vous devriez avoir déjà entendu parler de ce traitement. C’est un traitement risqué, qui a des effets secondaires graves, qui peut couter très cher et qui a une disponibilité limitée. Mais quand ça marche, ça marche des tonnes. Faites vos devoirs, trouvez des sources d’information fiables. Cet article fiable brosse un tableau complet de la transplantation de cellules souches. (NDT: Mais il est en anglais et n’a pas d’équivalent français. Sur ce site européen, vous trouverez beaucoup d’information fiable et en français sur les cellules souches et la SP.)
Après plus de 20 ans de cohabitation avec la SP et sans nouvelle activité détectée à l’IRM depuis 2017, Jenny sait qu’elle n’est pas la candidate idéale pour la transplantation de cellules souches, qu’elle appelle son traitement de la dernière chance. Elle a fait ses recherches et comprend que la procédure pourrait ne pas stopper sa SP à combustion lente (article en anglais) et que la chimiothérapie pourrait aggraver l’état de ses fonctions neurologiques. Malgré tout, Jenny croit que c’est sa meilleure chance d’exorciser ce qu’elle appelle ses poltergeist SP.
Après avoir cherché pendant près d’un an à obtenir l’aide médicale à mourir, Jenny met aujourd’hui toutes ses ressources dans cette chance d’améliorer sa qualité de vie. Le 17 février, elle a reçu sa transplantation et elle a célébré ce qu’elle et les autres patients avec elle considèrent comme un deuxième anniversaire. Il y avait même un gâteau.
Jenny s’est trouvé une nouvelle raison d’être en parlant de son vécu et en portant la parole d’autres personnes qui vivent avec la SP. Elle raconte dans le détail son aventure avec les cellules souches dans un nouveau blogue (en anglais), parce qu’elle sait que les informations sur le sujet peuvent être difficiles à trouver.
Je veux remercier Jenny pour m’avoir permis de raconter son histoire et pour avoir été aussi franche au sujet de son expérience avec l’AMM. Kathy Reagan Young a été la première à parler de l’histoire de Jenny dans un épisode de son balado FUMS (prononcer Fuck you MS), que je vous recommande chaudement. Kathy est une cheffe de file dans ce domaine et une défenseure des personnes qui vivent avec la SP. De plus, son utilisation de gros mots bat presque la mienne. Presque.
Jenny, on est tous derrière toi.
Prenez soin de vous, Trippeuses, Trippeurs. La SP, c’est dur.
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