Il y a deux semaines, j’ai eu une très bonne journée. Pas juste une bonne journée ordinaire, une bonne journée de sclérose en plaques (SP). C’était un évènement en soi, parce que depuis deux ans, presque toutes les fluctuations de ma SP vont vers une aggravation des symptômes. Il n’y a presque plus jamais d’amélioration. Je m’efforce de ressentir de la gratitude si ma condition est stable, dans le meilleur des cas, ou si elle décline lentement, le reste du temps.
Il y a deux semaines, donc, au gymnase avec Megan, ma super physiothérapeute, nous étions toutes les deux surprises par la performance de mes fléchisseurs de la hanche. Mon équilibre semblait également meilleur que d’habitude. Ce matin-là, j’avais prévu de ménager mon énergie en prévision d’une journée chargée, mais je me suis soudain sentie assez forte pour faire la fête comme il y a neuf mois, alors j’ai décidé de faire un entrainement complet.
Le soir, le Banquier et moi sommes allés au grand marché de Noël de Toronto, dans le quartier historique des distilleries. C’est un endroit populaire, avec des foules et des pavés inégaux à négocier, mais j’avais envie de siroter du cidre et de voir le sapin de 15 mètres. Je voulais me promener dans le tunnel lumineux et voir par moi-même quel genre de personnes déambulent en grignotant des cuisses de dinde géantes (je vous vends la mèche: genre kitch). Nous avons pris Optimus Prime, mon déambulateur badass qui se transforme en chaise de transport, parce que mon plan était de marcher le plus longtemps possible, sachant que j’aurais éventuellement besoin d’être poussée.
Mais je n’en ai pas eu besoin.
À l’exception d’une petite pause assise pour regarder l’arbre gigantesque, j’ai passé la soirée debout. J’étais éblouie par mon endurance, heureuse et pleine d’espoir. Est-ce que mon régime cétogène faisait finalement effet? Est-ce que mon énergie venait de mon abandon du sucre et des produits laitiers? Est-ce que la biotine que j’ingurgite depuis un an était en train de porter fruit?
Je ne suis pas du genre à trouver quelque chose là où il n’y a rien. En fin de compte, je suis réaliste. Mais la moindre amélioration, quand on fait tout ce qu’on peut pour ralentir le déclin, peut être ressentie comme une grande victoire. Et je trouvais que ça méritait d’être reconnu.
Alors je l’ai dit tout haut.
Ce qui était évidemment une erreur.
Deux jours plus tard, j’ai essayé d’ignorer l’étrange sensation que j’avais sur la tête en m’éveillant. Comme si j’avais porté un chapeau. Et puis, la brulure nerveuse qui se trouve habituellement dans mes pieds a commencé à grimper. Mes jambes et ma hanche se sont mises à bruler par plaques, même si ça faisait six semaines que j’avais supprimé le gluten. D’après mon expérience, de nouvelles plaques de douleur nerveuse sont souvent le premier signe que la bête se réveille. Malgré cela, je n’ai pas paniqué.
J’ai revu ma physiothérapeute deux jours plus tard pour faire un test de marche chronométré de deux minutes. Il s’agit d’une mesure standard, quoique étonnamment peu sophistiquée, de la progression de la SP. J’ai empoigné mes bâtons de marche et j’ai essayé d’aller aussi vite que possible sans tomber. Je faisais une course contre mon propre déclin, et je voulais désespérément faire mieux qu’à mon dernier test. Mais à me voir aller, personne n’aurait pu deviner que j’étais pressée, et encore moins que j’avais la sensation de faire la course de ma vie.
Lorsque le chronomètre de Megan a sonné la fin de mes deux minutes, j’étais encore loin de mon but. En fait, j’avais parcouru environ 20% moins de terrain qu’à mon dernier test, quelques mois auparavant. Mon cœur s’est serré, comme toujours en constatant la progression de la maladie.
Puis, il y a trois jours, j’avais un lunch avec un ami. Le Banquier m’a déposée, et sachant que je n’aurais qu’à marcher de la voiture à la table et retour, j’ai choisi de prendre ma canne plutôt que mon déambulateur. Quand je n’ai que quelques pas à faire, j’avoue, le déambulateur peut être emmerdant. Après un lunch agréable et productif, j’ai presque réussi à rejoindre la voiture sans ennuis. En fait, j’étais si près de l’auto que je me disais qu’elle allait amortir ma chute quand j’ai commencé à sentir que j’étais en train de tomber. Hélas, c’est le trottoir qui m’a rattrapée. En pleine gueule.
Depuis ce jour, je n’arrête pas de repasser le test de marche dans ma tête, ça et la chute stupide. Encore et encore. Où est passé ma bonne journée? Pourquoi j’ai des fléchisseurs de la hanche d’enfer, alors que mon pied droit ne veut plus rien savoir?
Est-ce que c’est parce que j’ai bu une demi-bouteille de Stella la semaine dernière sans penser à ce qu’il y avait dedans?
Hier soir, j’étais plus préoccupée que d’habitude en pensant à ce corps défectueux, en essayant de ressentir de la gratitude pour ce qu’il peut encore faire. Je me frottais les pieds pour essayer de leur faire ressentir autre chose qu’une brulure constante. Voyant mon désarroi, le Banquier m’a demandé: «C’est quoi ton pire symptôme en ce moment?»
Je n’ai pas eu besoin d’y penser, j’ai répondu: «la peur». C’est toujours le pire symptôme.
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