Si on vous a déjà diagnostiqué une sclérose en plaques (SP), il y a des jours où vous trouvez que votre corps ne se comporte pas comme il le devrait et vous vous dites que c’est peut-être un nouveau symptôme de cette maladie. Des problèmes de vision, des genoux qui flanchent, une vessie capricieuse sont des symptômes classiques de la SP. Mais la SP est une salope qui a l’art de compliquer les choses en hésitant à les définir clairement.
Plus d’une fois, j’ai dû me rappeler que tout n’est pas lié à la SP. Le problème, c’est que 9 fois sur 10, c’est la SP. Quand vous avez une maladie qui affecte le système nerveux central, tout peut dérailler.
Pire encore que se demander si un nouveau problème de santé est un symptôme de sclérose en plaques, c’est finir par en avoir la certitude, mais que votre médecin ne partage pas votre avis. Quand je suis arrivée à l’urgence lors de ma toute première crise de SP, on m’a dit que j’avais une névrite optique. Ma soudaine perte d’audition a été écartée. Parce que «la perte d’audition n’est pas un symptôme de SP».
Comment vous dites? Désolée, je ne vous ai pas entendu, je suis sourde d’une oreille.
Comme les merles blancs ou les Starbucks qui écrivent mon nom sans faute, ce n’est pas parce qu’une chose est rare qu’elle n’existe pas. Quand on souffre d’une maladie chronique, on n’est jamais à l’abri de la manipulation médicale. Juste à penser à cette première expérience, j’ai la tête qui veut exploser. Malheureusement, certains experts préfèrent vous dire que ce n’est pas lié à votre SP plutôt que d’admettre qu’ils ne savent pas quoi faire avec votre problème.
Ce qui m’amène à mon plus récent et déroutant symptôme de sclérose en plaques (peut-être): je perds la voix. J’ai parfois du mal à parler, c’est difficile de tousser, et ma voix se fatigue, comme mes jambes. Ça ne devient pas la voix rauque et sexy de Scarlett Johansson, non, la SP ne fait pas ce genre de cadeau. Ça ressemble plutôt à la voix de la mère de Marge dans Les Simpsons. Bien que les problèmes de voix ne soient pas inconnus dans la SP, ils ne sont pas considérés comme un symptôme typique de la maladie. Alors, je me demande si mon enrouement est causé par la SP ou non. Dans mon esprit, bien sûr, c’est un symptôme de sclérose en plaques. Sinon, c’est quoi, putain?
D’accord, ça pourrait être autre chose, et je suis reconnaissante d’avoir maintenant un médecin qui me prend au sérieux et qui va aller au fond de cette histoire. En attendant, je vais essayer de ne pas trop penser à ce que pourrait ressembler ma vie sans parler. Le Banquier et moi sommes très versés en langage non verbal de couple, mais ça se limite à des regards qui signifient «Aide-moi, c’est quoi déjà son nom à lui» «On la déteste, non?» et «Même si je t’ai demandé de ne pas acheter de chips, si tu finis le sac sans m’en laisser, ça va mal tourner».
À cause de la covid, le port du masque a éliminé le commode sourire en coin ou la face faussement impassible. Si je perds la voix, je suis réduite à lever les yeux au ciel et à relever les sourcils alors que j’aurais tellement de choses à dire. Par exemple, «On la déteste, non?» avec les yeux, ça suffit pendant la soirée, mais c’est clair qu’on voudra creuser le sujet pendant le retour à la maison.
Je ne me sers pas de ma voix uniquement pour faire des commérages et pour me plaindre. Dernièrement, j’ai enregistré la partie française de l’enseignement à distance (covid oblige) de ma nièce, j’ai participé à quelques balados et j’ai même chanté, jusqu’à ce que la SP en décide autrement.
Il n’y a pas de «bons» symptômes de sclérose en plaques. Ils sont tous nuls et parfois, on dirait que le symptôme dominant est le pire qui pouvait arriver à ce moment-là. Par exemple, quand les douleurs nerveuses m’empêchent de dormir, c’est mon pire symptôme à ce moment-là. Je prends quelque chose pour soulager ces douleurs et dormir, mais cela affaiblit mes jambes au point de ne pas pouvoir marcher le lendemain. Cette paralysie deviendra le pire symptôme ce matin-là. Quand j’ai un urgent besoin d’aller à la toilette, et qu’il n’y en a pas en vue, bon, vous avez compris le topo.
Mais dans la hiérarchie des symptômes de SP, les nouveaux sont particulièrement inquiétants. Ils me rappellent froidement que mon pacte avec le diable doit être arrivé à terme. La SP est toujours tapie, attendant l’occasion de foutre la merde. Développer la résilience nécessaire pour traiter et accepter tant de symptômes invalidants demande beaucoup de travail. Quand on se réveille avec un nouveau problème en se demandant c’est quoi ça, on se rend compte qu’avec la SP, le travail n’est jamais terminé.
Et puis, on le sait pas encore. On m’envoie passer des tests et on repousse la date de mon traitement avec Ocrevus. Encore une fois. Parce qu’on ne peut pas supprimer mon système immunitaire en même temps qu’on m’envoie à l’hôpital en pleine pandémie pour passer des tests.
Quoi qu’il arrive, je vais passer au travers. Je le fais toujours. Je pense que la sclérose en plaques est la plus dévastatrice quand elle sape les fondements de notre identité. Combien de fois vais-je être obligée de me retourner et de me réinventer?
Autant de fois qu’il le faudra, je suppose.
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