Mon dernier rendez-vous avec mon neurologue suppléant, aujourd’hui ex-neurologue, a été particulièrement décevant. Il s’est conclu sur «Vous en avez encore perdu, mais il n’y a rien qu’on peut faire, je vous verrai dans un an». Je me suis sentie comme tant d’autres personnes atteintes de sclérose en plaques progressive secondaire (SPPS): mise de côté, abandonnée, sans espoir.
J’ai quitté la clinique de SP ce jour-là avec un sentiment de désespoir. Je me disais que même si personne n’osait me le dire dans le blanc des yeux, ce n’était qu’une question de temps avant que je ne sois plus capable de marcher. Et ça n’affolait personne.
Si je ne m’étais pas sentie aussi bousculée pendant ce rendez-vous, peut-être que je n’aurais pas senti le besoin d’aller chercher un deuxième avis. Sans parler d’un nouveau médecin. J’avais poiroté une heure et demie dans la salle d’attente de cette clinique dont la capacité est si limitée qu’il est presque impossible d’être vu en dehors des rendez-vous annuels. Le médecin n’avait pas pris mes symptômes au sérieux (c’est de l’anxiété) et son bureau avait l’air d’un putain de débarras.
Je me suis donc rendue à New York pour obtenir un deuxième avis, plus précisément au Tisch Center où sont menées des recherches passionnantes et prometteuses sur le traitement de la SP. Je m’efforçais de ne pas nourrir de grandes attentes, mais je me disais qu’au minimum, j’aurais la confirmation qu’il n’y avait vraiment rien à faire.
Mais lorsque le neurologue de New York m’a recommandé d’essayer l’un des médicaments récemment approuvés pour la SP progressive, j’ai vibré d’un espoir que je n’avais pas ressenti depuis quatre ans. Je suis sortie de son bureau excitée, le cœur léger. Je me suis surprise à sourire à des étrangers plutôt qu’à faire des grimaces aux bébés. Ne vous méprenez pas, je connais suffisamment bien cette maladie pour ne pas espérer une guérison ou même une amélioration substantielle. Mais la lueur d’espoir qui m’a été donnée ce jour-là était enivrante.
J’ai ramené ma recommandation new-yorkaise au Canada, mais pas au Dr Bordel, je n’y retourne plus. Je suis plutôt allée voir un neurologue que je n’avais pas vu depuis trois ans, celui qui m’a initialement diagnostiquée, puis traitée pendant plus de dix ans — R-Dogg. Son cabinet est à l’extérieur de la ville et le Banquier doit prendre congé pour m’y amener, étant donné que je ne peux plus conduire (c’est d’ailleurs à cause de ça que j’avais changé de médecin). Mais je savais que je recevrais de meilleurs soins qu’à ma clinique actuelle.
R-Dogg et son équipe m’ont accueillie dans leur cabinet où rien n’avait changé. Cela m’a fait bizarre d’être là, mais je me sentais bien. En sécurité. J’ai confiance en cet homme et en toute son équipe. Mais, bon, vous devinez déjà la suite, sinon, pourquoi j’écrirais ce billet?
Depuis 2001, R-Dogg est l’homme qui me donne les nouvelles les plus merdiques de ma vie. Pourquoi ça changerait aujourd’hui?
J’ai la forme progressive secondaire de la sclérose en plaques, mais elle n’est pas active. Je n’ai pas de nouvelles lésions ni de lésions qui s’aggravent. Or sans lésions aggravantes, pas de traitement. Même si j’ai l’impression que la SP travaille activement à me démolir, les IRM ne détectent pas d’activité. Autrement dit, mon indolente et insidieuse maladie réagirait peu — certains diraient pas du tout — aux thérapies dont certaines comportent des risques. Je savais déjà tout cela, mais mon médecin américain, luisant d’espoir et épris de liberté avait ses raisons de croire que ça valait la peine d’essayer un autre traitement, et cela m’avait suffi.
Mais ça n’a pas suffi à mon médecin canadien glacé au sirop d’érable, qui défend sa liberté sans fusil. Il m’a recommandé de faire confiance à la science. Pas à mes émotions.
R-Dogg ne fait pas d’ordonnances d’espoir.
J’ai refoulé mes larmes avec l’impression d’avoir reçu un coup de poing dans l’estomac. Je ne peux pas lui en vouloir de m’avoir ôté tout espoir. Je n’aurais jamais dû m’y accrocher au départ.
Mais qu’est-ce qui fait qu’on a une si haute opinion de l’espoir? Ce n’est pas une vertu, ce n’est rien de plus que l’attente de recevoir quelque chose que l’on désire. Existe-t-il un endroit dans le monde où l’espoir n’est pas un enfoiré? L’espoir ressemble à un petit enfant qui fond en larmes parce que vous ne le laissez pas nourrir le chat avec du pain à hamburgers.
Besoin de plus d’arguments?
L’espoir peut vous conduire à des déceptions extrêmement cruelles. Pas du genre «Je suis déçue parce que tout le monde porte du rose maintenant, et que c’était mon idée». À force d’être déçu, l’espoir peut se transformer en désespoir, voire en détresse.
Espérer contre toute probabilité que ma sclérose en plaques disparaisse m’enferme dans un cycle de deuils parce que la maladie se moque bien de mes désirs et continue d’aggraver ma condition.
Si vous ne mettiez pas d’argent de côté en vue de la retraite parce que vous espérez gagner à la loterie, on vous dirait que c’est insensé. Nous savons tous qu’il est malsain de se mettre la tête dans le sable en espérant que le meilleur se produise, sans se préparer en même temps à affronter la réalité. C’est pourtant le genre d’attitude qui est encouragé chez les personnes malades.
Lorsque nous sommes diagnostiqués, tout le monde nous dit d’avoir de l’espoir. Mais ce dont nous avons vraiment besoin, ce sont plutôt des encouragements à être courageux, à cultiver nos forces. Nous avons besoin que les médecins et nos proches reconnaissent que ce à quoi nous sommes confrontés va être difficile. Vraiment difficile.
Lorsque nous acceptons que le monde est injuste, que la souffrance fait partie de l’expérience humaine, nous pouvons nous concentrer sur ce qui est modifiable de façon réaliste. Espérer que mon corps va guérir peut m’empêcher de cultiver le courage dont j’aurai besoin s’il ne guérit pas.
L’ivresse de l’espoir peut brouiller votre jugement. Plus nous avons d’espoir — parce que nous sommes désespérés —, plus nous sommes susceptibles de nous engager dans des traitements risqués. Nous risquons aussi de dépenser de l’argent que nous n’avons pas, voire de nous rendre dans des endroits louches pour obtenir des traitements non approuvés. Je ne juge personne: j’ai fait tout ça. À l’autre extrémité du spectre de l’espoir, on peut espérer que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes. Cela peut conduire à négliger son alimentation et l’exercice physique, voire à se mettre à fumer, à larguer son dentiste ou même à refuser des traitements médicaux qui pourraient nous aider.
Que l’on fasse appel à la foi en Dieu ou en l’industrie pharmaceutique, on nous encourage, dès le diagnostic, à croire que nous irons mieux. On nous dit d’être des guerriers, de lutter contre le destin, comme si en refusant d’accepter notre diagnostic, nous pouvions d’une manière ou d’une autre l’inverser.
Il est difficile d’avoir ce genre d’espoir sans détester sa vie. Il faut plus de courage pour accepter un avenir injuste que pour le nier. Il faut plus de courage pour aimer son corps, aussi brisé soit-il, que pour se fâcher contre lui. M’accrocher à des résultats sur lesquels je n’ai aucun contrôle me fait regretter le passé, me rend amère à l’égard du présent et craintive face à l’avenir.
L’espoir et la peur ne sont que des projections sur l’avenir. Mais on ne peut être certain de rien dans un avenir qu’on ne peut connaitre.
Je passe zéro seconde à espérer qu’un bus (ou un camion) ne m’écrase pas. Je n’ai pas besoin d’espérer que ça n’arrive pas, car je ne m’attends pas à ce que ça arrive. Par contre, je passe toutes mes heures d’éveil (et certaines de mes heures de sommeil) à espérer que la SP ne me détruise pas. Parce que c’est la chose dont j’ai le plus peur.
L’espoir n’est pas l’absence de peur. Il en est la manifestation.
Laisser tomber l’espoir ne veut pas dire désespérer. La clé, c’est d’espérer avec sagesse. Par exemple: j’espère aller à Paris une fois par année jusqu’à la fin de mes jours. C’est un bon espoir. J’espère que vous passerez une bonne journée. Un contre-exemple: j’espère que je ne deviendrai jamais comme ma mère. Oubliez ça. Ce serait plus sage de faire de la place dans mon placard pour les chapeaux surdimensionnés et le papier d’emballage usagé. Peut-être qu’un jour un demi-verre de zinfandel suffira à me griser.
Laisser tomber l’espoir et accepter la situation telle qu’elle est ne signifie pas non plus être complaisant. Pour citer Derrick Jensen (Endgame): «Quand l’espoir meurt, l’action commence». Pour moi, laisser tomber l’espoir signifie m’engager encore plus dans mon régime et dans la physio, car pour l’instant, c’est tout ce que j’ai.
Laisser tomber l’espoir signifie vivre dans le présent et ressentir de la gratitude pour ce que j’ai, malgré les difficultés. Mes espoirs ne sont pas très grands. Je m’aperçois que mon espoir le plus tenace, c’est celui de rester comme je suis, de ne pas aller plus mal. D’une certaine manière, ce que j’espère est ce que j’ai déjà.
Et si un remède se présente, ça ne changera rien que je l’aie espéré ou non.
ATTENDEZ!
Normalement, c’est ici que je vous embrasse et vous invite à me suivre là. Mais juste au moment où votre héroïne tragique (moi) était sur le point de cliquer sur Publier, le téléphone a sonné. C’était R-Dogg avec un rebondissement de l’intrigue. Il voudrait que je refasse mon IRM. Il s’est avéré que le Dr Bordel ne suivait pas l’évolution dans mon rachis thoracique — là où se trouvent mes pires lésions. S’il y a des changements à cet endroit, nous envisagerons un traitement. Juste avant de raccrocher, R-Dogg a dit, et je ne plaisante pas, «Alors, il y a de l’espoir».
Suivez Tripping On Air sur Facebook et Instagram.