Handicapée et fière de l’être, ça se peut?

En me promenant dans les internets, j’ai appris qu’à New York, juillet est le mois de la fierté handicapée. Sans blague! Ça veut dire que c’est partout sur la planète puisque New York est le centre du monde. J’avoue, mon sang n’a fait qu’un tour. Même si j’ai la sclérose en plaques (SP) depuis 19 ans, ce n’est certainement pas mon handicap qui me donne envie d’aller défiler devant des foules en liesse.

En avant de la parade?

Et puis, il n’y a rien de pire que les défilés, même accessibles. Ils sont ennuyeux, c’est plein d’enfants et de putain de clowns. Il faut rester debout pendant des heures et il y a toujours quelqu’un qui vomit. Je ne mettrai pas de crème solaire pour aller regarder un embouteillage de deux heures avec une bande-son interprétée par un groupe merdique d’amateurs. En fait, oui, il y a pire que les défilés: regarder les défilés.

Il y a une raison pour laquelle les défilés sont gratuits.

Comment être fière de ce qui est brisé?

Grâce à la covid, je n’ai pas besoin de m’énerver parce que, au moins pour l’instant, les défilés sont annulés. Mais je ne me sens pas pour autant affranchie de l’obligation de participer à la Fierté handicapée. Je veux dire, c’est ma communauté, non? Après 19 ans avec la SP, je dois à la communauté des personnes atteintes de maladies chroniques d’au moins réfléchir à ce que pourrait être ma fierté handicapée.

Peut-être que je pourrais découvrir une excuse pour boire du champagne? Est-ce qu’on nous offre des cadeaux? Du gâteau? Je ne sais pas comment ça marche, ces trucs-là.

Quoi? Tu veux dire qu’après 19 ans, tu ne le sais pas encore?

Mon ignorance totale des célébrations passées de la Fierté handicapée a certainement quelque chose à voir avec le fait que les personnes handicapées ne sont toujours pas très visibles. Mais cette ignorance pourrait aussi être liée au fait que, bien que je vive avec des symptômes de SP assez handicapants, je ne me voyais pas comme une personne handicapée. Est-ce que la douleur, la fatigue, la spasticité, le fait d’être légalement aveugle et une vessie qui ne sait pas se conduire en public sans un cathéter me qualifient? Je n’utilise un fauteuil roulant qu’à l’occasion et je possède tous mes membres.

La différence entre avoir et être

Pendant des années, la sclérose en plaques était quelque chose que j’avais (une maladie), ce n’était pas quelque chose que j’étais (handicapée). Jusqu’à ce que je commence à utiliser des aides à la mobilité et que les gens me demandent «Qu’est-ce que vous avez?»

Handicapée était une identité atrocement difficile à accepter pour moi.

Avoir une maladie incurable n’est pas synonyme d’être handicapée. Je peux avoir l’air de chipoter sur les mots, mais pour moi, la distinction était énorme. Je rejetais l’idée que j’étais handicapée. En fait, je ne la rejetais même pas puisque je ne l’avais jamais admise. (Capacitisme intériorisé?)

Le handicap en guise d’épouvantail

Pour une raison quelconque, le déni semble être particulièrement encouragé chez les personnes atteintes de sclérose en plaques. Dès l’instant où nous sommes diagnostiqués, on nous dit de ne pas laisser cette maladie nous définir. En réponse, nous jurons de ne jamais laisser la SP nous changer. Nous nous disons: «J’ai la SP, mais la SP ne m’aura pas». Nous pensons que si notre volonté est assez forte, nous pouvons simplement décider de ne pas devenir handicapés.

Et qui peut nous en vouloir? Nous savons que dans notre culture le handicap est une très mauvaise chose. Peut-être la pire des choses. Il y a des gens, beaucoup de gens, qui croient que vivre handicapé est pire que la mort. Ils ne voient pas une personne handicapée comme étant seulement différente, mais comme étant diminuée. Alors pourquoi s’autoproclamer handicapé, sans même parler de fierté?

Parce que tous ces gens ont tort.

De quoi sommes-nous fiers au juste?

Si la fierté, dans sa forme la plus simple, est un sentiment de dignité et de respect de soi, mêlé d’un peu d’humilité pour certaines des choses que j’ai accomplies, alors oui, inscrivez-moi dans la fierté. Facile. J’ai un paquet de raisons d’être fière. Mais nous parlons de fierté handicapée, et cela me démange. Je ne peux pas être fière de mon handicap alors que tout ce que je veux, c’est l’éliminer. Comment puis-je être fière de quelque chose qui me diminue? Qui me scie les jambes?

Comment puis-je être fière de la partie la plus faible de mon être, celle qui me fait peur et fait peur à tout le monde?

#fiertéambulante

Être fière d’être handicapée ne veut pas dire que j’aime mon handicap ni que je ne le trouve pas chiant. Il l’est. Mais ça veut dire que je rejette l’idée que je devrais avoir honte de mon corps ou de mon handicap. Je rejette l’idée que je suis moins capable de contribuer et de participer au monde. Ne me dites pas que je prends plus que je donne. Et ne me faites pas croire que j’ai moins de valeur et de potentiel que la Becky qui n’a pas de handicap à côté de moi.

Arrêtez vos conneries.

Déclarer ma fierté signifie que je n’accepte pas la définition que la société donne du handicap. Aimer mon corps handicapé est un acte radical qui peut remettre en question la façon dont les gens pensent au handicap. C’est un geste qui peut faire avancer l’idée que c’est normal d’être imparfait.

Alors, tu vas embarquer dans le défilé?

Il a été annulé (merci covid), mais je m’aperçois que j’ai de nombreuses raisons de célébrer la Fierté handicapée. Je dois célébrer la Fierté handicapée. Car si je ne peux pas être fière de ma vie de handicapée, je contribue à l’idée que le handicap me diminue. C’est un message toxique à faire circuler — un message qui diminue les autres personnes handicapées et qui renforce les institutions capacitistes. Pire, c’est un message dangereux à me donner à moi-même, et j’ai une trop haute opinion de moi-même pour le faire.

Le handicap fait partie de qui je suis, et je suis fière de ce que j’ai accompli dans ces circonstances. La fierté handicapée ne concerne pas ce que j’ai perdu ou ce que je ne peux pas faire. C’est une célébration de la vie et une reconnaissance du fait que tous les corps ont une valeur. On mérite un défilé que le père Noël lui-même applaudirait.

Être une fière handicapée, c’est reconnaitre que je peux faire des choses difficiles et que je suis toujours là. Certains jours, cela suffit pour être fière. Alors, en juillet prochain, je vais mettre mon chapeau de fête, ouvrir une bonne bouteille et lever mon verre à mon corps brisé et au vôtre aussi.

Bonne fierté handicapée, Trippeuses et Trippeurs! De quoi êtes-vous fiers?

Suivez Tripping On Air sur Facebook et Instagram.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

SUIVRE SUR INSTAGRAM (EN ANGLAIS)