Récemment, j’ai connu plus de mauvaises journées de sclérose en plaques (SP) que de bonnes. Je tombe sans arrêt et je laisse tomber plein de trucs, et ma moyenne quotidienne de pas a baissé. Ça me prend un temps fou pour enfiler une culotte. Ce matin, j’ai versé le café de la Bodum dans l’évier plutôt que dans ma tasse. Si ce n’était de l’essai du PoNS que je suis sur le point d’entamer, je me prendrais la tête en flippant sur ce que l’avenir me réserve.
Le Banquier vous dirait que mes mauvaises journées sont dues à la chaleur ou à ma dernière infection urinaire. Ou peut-être que c’est le fugace passage à vide sous Ocrevus? J’en ai entendu parler, mais je ne comprends pas tout à fait son impact sur la progression de ma SP. (J’ai eu ma perfusion il y a cinq mois et demi et j’aimerais bien que quelqu’un m’explique, science à l’appui, ce fameux passage à vide.) De toute façon, qu’il y ait une explication à ce qui m’arrive ne changera pas grand-chose. Je peux me remettre de mes mauvaises journées, mais la trajectoire de ma maladie ne changera pas. Mon petit corps fatigué se détériore tranquillement. De temps en temps, il faut mesurer l’étendue des dégâts — et flipper — avant de passer à autre chose.
Comme le vieillissement, la progression de la sclérose en plaques est une insidieuse salope. Vous ne remarquez pas les changements qui ont lieu chaque jour. Mais de temps en temps, vous apercevez votre cul nu dans un miroir et vous vous demandez où diable sont passées vos fesses.
Avec la SP, vous vous demandez si vous avez perdu de la vitesse ou si vous n’avez pas essayé assez fort. Vous vous demandez «depuis quand je suis obligée de m’assoir pour mettre un pantalon»? Un an? Deux ans? Vous êtes sidérée en voyant quelqu’un à la télévision se lever de son lit sans effort. Sans s’agripper aux draps et sans se tortiller dans une gymnastique compliquée. Est-ce que j’ai déjà été capable de faire ça?
O.K., PoNS, c’est l’acronyme de Portable Neuromodulation Stimulator (stimulateur de neuromodulation portable) et je ne sais pas pourquoi ils ne l’ont pas baptisé PNS.
Oups, je viens de le dire à haute voix.
Le PoNS est un dispositif qui a l’air sorti de la science-fiction. Il stimule, avec des électrodes, la surface de la langue dans le but de favoriser la neuroplasticité. Utilisé en association avec la physiothérapie, il pourrait améliorer la marche et l’équilibre chez les personnes atteintes de sclérose en plaques.
La première fois où j’ai entendu parler du PoNS, c’est dans le livre de Norman Doidge, The Brain’s Way of Healing. Mon ami Joe me l’avait envoyé pour que je lise l’histoire du chanteur qui avait retrouvé sa voix, abimée par la SP, grâce au PoNS. Le chanteur en question, qui avait la maladie depuis 30 ans, avait vu des résultats après seulement quatre minutes d’utilisation de l’appareil. Après deux semaines, il s’est levé de son triporteur pour danser la claquette.
Je n’ai pas de patience pour les cures miracles et pour tout ce qui a l’air trop beau pour être vrai. J’ai laissé le livre sur la tablette. Avant de me traiter de chienne sceptique, sachez que je me suis déjà fait rouler par l’espoir. Ce livre contenait plus d’anecdotes spectaculaires que de jugement critique.
La poussière n’avait même pas fini de retomber sur le livre quand un représentant de la compagnie Helius Medical Technologies m’a appelée. Par hasard. Pour me parler de l’appareil PoNS. Il avait l’énergie d’un vendeur de chars usagés, ce qui n’a fait qu’accroitre mon scepticisme au début. Je n’ai pas pris le potentiel du PoNS au sérieux jusqu’à ce que j’apprenne que mon propre médecin menait une étude à ma clinique de SP. Cette donnée s’ajoutait à celles que m’avait présentées le dealer de PoNS et qui avaient l’air beaucoup plus honnêtes que les prétentions de Doidge. Ce représentant était au demeurant un type adorable et intelligent qui ne mérite pas du tout mon sarcasme, mais qui a certainement un collègue qui pourrait vous faire un prix d’ami sur un Ram 1500.
Vérifications faites, je me qualifiais pour l’étude. J’ai pris une profonde respiration avant de demander à ma physiatre son avis. Sans se mouiller, elle a haussé les épaules en disant: «Ça ne peut pas faire de mal».
Avant de commencer l’essai, j’ai dû faire une marche minutée sur 25 pieds. Ça m’a pris 24 secondes avec ma canne et 12 secondes avec mon déambulateur. Puis j’ai passé des heures à faire le deuil de mes capacités, tout en essayant d’être reconnaissante pour des jambes qui ne seront jamais plus efficaces que maintenant.
Ne vous laissez pas tromper par mon narcissisme et par la fierté de #babeswithmobilityaids: il n’y a rien de réjouissant à se détériorer. Les jours où je ne suis pas cool du tout face aux dommages que la maladie m’inflige sont nombreux.
Normalement, arrivée à ce stade, je passerais mes émotions dans le shopping et je me taperais Gossip Girl (L’Élite de New York) une autre fois. Bien sûr, j’ai acheté deux robes et dépensé une fortune en bas. Mais cet essai PoNS me donne une autre option que celle d’accepter l’affaiblissement de mes jambes. La thérapie PoNS me laisse croire que ma marche pourrait s’améliorer.
L’essai dure 14 semaines et je pourrai garder l’appareil. Les deux premières semaines comportent des séances d’entrainement intensif qui vont m’obliger à passer la moitié de la journée à la clinique. Autrement dit, je ne devrai rien prévoir d’autre de toute la journée. N’essayez pas de me joindre parce que je vais être épuisée physiquement et mentalement puisque je vais travailler à contourner mon propre cerveau. Par la suite, j’aurai 12 séances à la clinique, à raison d’une par semaine. Le reste du temps, je devrai faire les exercices chez moi, avec l’appareil, pour améliorer ma marche et mon équilibre.
C’est aussi ce que j’ai dit. Le représentant de Helius m’a mise en contact avec une utilisatrice du PoNS qui m’a parlé de gens qui n’ont plus besoin de fauteuil roulant. Elle était certaine que je pourrais bientôt me passer de mon déambulateur. Vous ne trouverez pas ce genre de prétentions sur le site du PoNs (site en anglais). Les commentaires sont positifs, mais modérés, ils n’exagèrent pas les bienfaits de l’appareil. L’étude citée ne porte que sur 20 personnes, d’où le besoin de poursuivre la recherche. Cela dit, le PoNS est déjà sur le marché au Canada et il vient de recevoir l’approbation de la FDA (article en anglais et en espagnol) aux États-Unis.
Sur le site, un médecin a laissé le commentaire suivant: «Je me sens privilégié d’avoir vu les efforts incroyables que nos clients ont consacrés à ce programme et les résultats impressionnants qu’ils ont obtenus en retour! Bien que ce ne soit pas le cas pour tous, plusieurs de nos clients avec la SP ont trouvé que le PoNS était le chainon manquant de leur programme de rééducation pour les aider à voir les résultats de leurs efforts »
Bien que je me méfie des gens qui utilisent le point d’exclamation, on ne peut pas dire que c’est d’un enthousiasme à faire lever Lazare avec son grabat sous le bras. Je suis quand même restée bloquée à «Bien que ce ne soit pas le cas pour tous». En même temps que je commence à croire que cet appareil peut changer la vie de certaines personnes, je me dis: «Et si ça ne marche pas pour toi, tu fais quoi?»
Ma physiatre à l’optimisme prudent a ajouté à son approbation hippocratique que j’allais gagner du muscle et un meilleur sommeil, juste à cause de toute la physio que j’allais faire.
Mais elle n’a pas tout à fait raison de dire que ça ne peut pas faire de mal. Il ne faut pas sous-estimer l’effet de 14 semaines de travail mental et physique intense quand on sait que la fatigue peut être invalidante au point où on doit faire des choix sur la façon de dépenser notre énergie. Je ne crois pas que les gens se rendent compte de l’effort qu’on doit fournir pour le moindre gain, quand gain il y a. Vous ne pouvez pas nous en vouloir de dépenser notre précieuse énergie à faire de vraies choses plutôt que de fastidieux redressements d’orteils et d’imperceptibles soulèvements de la jambe.
Mais le plus gros investissement que cet essai demande n’est pas physique, il est psychologique. Si vous pensez que j’exagère l’importance du moindre changement potentiel dans ma capacité de marcher, bravo, vous n’avez sans doute pas de difficulté à marcher. J’ai peur de me donner la permission de croire que le PoNS peut m’aider. Une peur difficile à formuler. D’un autre côté, on ne peut pas investir tous ces efforts, toute cette énergie dans quelque chose sans croire que ça va donner des résultats.
Ne faut-il pas croire un peu aux miracles pour se donner tant de mal?
Je n’ai jamais voulu mettre d’espoir dans le PoNS. Je fais de gros efforts pour accepter le déclin de ma capacité à marcher parce que pester contre l’inévitable ne conduit qu’à la tristesse. Mais c’est raté: j’ai de l’espoir et je suis là, en train de pester contre la sclérose en plaques, de toute façon.
C’est parti.
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