Comment traiter une poussée de SP avec des stéroïdes et des mensonges

Des stéroïdes peuvent régler ça, non?

Avant d’entreprendre un traitement à haute dose de prednisone pour soigner une pseudo-poussée de sclérose en plaques (SP), j’ai, comme à mon habitude, fait mes listes de pours et de contres. Je connais les effets secondaires intenses et la chiantitude générale des mégadoses de stéroïdes, et pour être honnête, j’avais déjà pris ma décision. Mais avec mes listes, j’avais l’impression de prendre aussi mes responsabilités.

Comment traiter une poussée de sclérose en plaques avec des stéroïdes et des mensonges

 

Inconvénients des stéroïdes en cas de poussée de SP

  • insomnie
  • rétention d’eau
  • troubles gastro-intestinaux
  • maux de gorge
  • folie passagère
  • mauvais goût du café (et de tout le reste)
  • incapacité de travailler pendant au moins une semaine
  • FOMO — je vais sans doute rater le party d’anniversaire de mon neveu
  • cette foutue bosse de bison, est-ce que je vais l’avoir?

Avantages des stéroïdes en cas de poussée de SP

  • pieds au chaud et pipis en liberté pendant quelques jours
  • peut-être que je peux stopper cette lente descente vers le fond

Le jour avant d’aller chercher mon ordonnance, je m’efforce encore de me convaincre que la décision de tenter le coup avec les stéroïdes est plus sensée que de ne rien faire. Je suis à l’affut de signes probants d’aggravation — la faiblesse et la lenteur qui me terrifient normalement me confortent dans ma décision d’avaler le poison. La potion magique de prednisone s’est considérablement affaiblie depuis l’époque où elle rechargeait ma batterie à la vitesse grand V. Je n’ai pas une véritable poussée, mais une pseudo-poussée de sclérose en plaques. Ajoutons que je suis passée de la forme cyclique (ou récurrente-rémittente) de la SP à la forme progressive secondaire. Au stade où je suis, plusieurs médecins ne parleraient jamais de stéroïdes, considérant que les risques sont plus grands que les possibles bénéfices.

Facile de penser comme ça quand on vit dans un corps droit et fonctionnel, et qu’on n’a pas besoin d’interventions divines.

Mais mon effondrement, provoqué par une fièvre, nous a suffisamment inquiétés, mon médecin et moi, pour qu’on tente le coup. Voici comment ça s’est passé.

Le jour avant de commencer le traitement

Je prépare un bouillon maison et je fais provision de compote de pommes et de ginger ale, sachant comment les stéroïdes me dérèglent l’estomac.

Je me fais laver les cheveux, j’achète quatre nouveaux livres et je vais bruncher avec le Banquier. Comme ça, il aura un souvenir agréable de moi avant que les stéroïdes me retournent contre lui.

Mais toujours aussi vaniteuse

Stéroïdes, jour 1

Je recouvre tous les miroirs pour ne pas voir mon visage changer.

C’est la première fois que je prends de la prednisone par voie orale (par opposition à la voie intraveineuse), alors je texte mon amie blogueuse Beth (Bethy Bright And Dark [site en anglais]) pour lui demander conseil. Par exemple, quel jeu à boire suggère-t-elle pour avaler 62 comprimés et demi en 15 minutes? Elle commence un traitement en même temps que moi et j’ai pensé que ce serait rigolo, genre, de parier sur laquelle de nous deux allait pleurer la première.

La première journée s’est déroulée sans incident, un peu comme avec la version intraveineuse.

Jusqu’à maintenant, tout va bien.

Impossible en 15 minutes. Il m’a fallu 59 minutes pour toutes les avaler.

Stéroïdes, jour 2

Je me réveille avec un mal de tête après 3 heures et 17 minutes de «sommeil», mais j’ai les jambes gelées et je n’arrive pas à me rendormir.

Mes joues sont roses. Pour une fois, je n’ai pas l’air d’un cadavre.

Je prends des nouvelles de Beth et j’apprends qu’il existe des gens qui font porte-parapluie comme boulot. On peut les embaucher quand on a besoin de nos deux mains pour tenir notre déambulateur. Je suis émerveillée par les façons que trouve la SP de soutenir l’économie et de créer des emplois.

Un peu plus tard, furieuse de ne pas pouvoir grimper sur une chaise pour atteindre une tablette haut placée, je lance la boite de chocolats ouverte dans le fond de l’armoire. Défiant les lois de la physique, les chocolats restent dans la boite, ce qui m’enrage encore plus.

Stéroïdes, jour 3

La beauté du traitement: je n’ai pas dormi et je m’en fous.

L’absence de spasticité, c’est trop bon.

Mon équilibre est plus précaire que d’habitude et mes intestins sont aux abonnés absents, mais mes pieds sont à la fucking bonne température. Je dis (à voix haute) que je supporterais ce traitement tous les deux mois juste pour que mes pieds ne soient pas à la fois gelés et brulants pendant une journée ou deux. 

M’apercevant que je ne possède pas de pantalon en velours rouge, je me lance frénétiquement dans une virée de shopping en ligne. Cela me parait raisonnable.

Stéroïdes, jour 4

Mon traitement de trois jours est terminé. Je fais une marche minutée. Résultat: un demi-corridor de moins qu’avant de commencer le traitement. Je me sens trop fatiguée pour en penser quoi que ce soit.

Mes nouveaux livres sont toujours dans le sac. Je suis trop dans les vapes et trop souffrante pour lire ou même regarder la télé, alors je regarde le mur en espérant que le temps passe

Stéroïdes, jour 5

Je me réveille après neuf heures d’un sommeil splendide (et médicalement induit).

Après avoir pris un bain, je me frotte les jambes avec ma lotion pour le corps Hermès réservée aux occasions spéciales. Parfois, le simple fait de ne pas vouloir mourir peut ressembler à une occasion spéciale.

Juste comme les choses ont l’air d’aller mieux, je regarde deux épisodes de This is Us (Notre vie) et je me sens piégée dans une crise de larmes. Je pleure ma vie parce que Jack, et la vie, et Kevin, et Kate, et Randall. Et. Je. N’en. Peux. Juste. Plus.

Je texte Beth. C’est un match nul. Elle est en larmes, elle aussi.

Stéroïdes, jour 6

On dirait que mon estomac saigne et je remets en question mon aptitude à prendre les bonnes décisions. Je jure devant Dieu et devant Beth que les stéroïdes et moi ne reviendrons plus jamais, jamais, jamais ensemble.

Je décide que je mérite bien une paire d’espadrilles Dior à 700$ pour toutes mes souffrances.

Je n’achète pas les chaussures.

Mais je maintiens que je les mérite.

Stéroïdes, jour 7

Je dois être quelque part à 8h. Du matin. Je heurte ma lampe de chevet et l’ampoule éclate en milliards de morceaux juste pour donner au Banquier un petit quelque chose de plus à faire à 7h15 pendant que je suis effondrée dans le lit, complètement inutile.

Je me décide enfin à regarder dans le miroir, mais je ne me reconnais pas dans ce visage étiré, sans relief.

Je ressens une brulure sur le torse et suis convaincue que j’ai le zona. (Je n’ai pas le zona.)

Stéroïdes, jour 8

Je réussis à quitter la maison même si je me sens plus faible et plus lente qu’avant le traitement.

Je mange un repas complet, incluant un reste de gâteau d’anniversaire du party de mon neveu (que j’ai raté).

J’émerge des effets du médicament et c’est un grand soulagement — c’est le traitement aux stéroïdes le plus éprouvant que j’ai jamais fait, mais ça n’a pas marché.

Stéroïdes, jour 10

Nous allons au théâtre ce soir, alors je passe la journée à me ménager. Je prends deux pauses d’une heure où je m’allonge.

Je me demande brièvement s’il est possible que les stéroïdes aient empiré mon état, mais j’ai trop peur de la réponse pour demander à Google.

Je suis crevée par l’effort que ça me demande de marcher de l’appartement à la rue. Dans l’Uber, en route pour le théâtre, j’apostrophe le Banquier et j’éclate en sanglots.

Vous ne pouvez pas deviner à quel point je suis folle.

Je m’étais dit que les stéroïdes feraient quelque chose. Et c’était vrai. Le mensonge était de dire qu’ils feraient quelque chose de bien. Un petit quelque chose qui allègerait le fardeau de la sclérose en plaques, un petit peu plus de force et d’endurance — même si ce n’est qu’un soupçon —, pendant un instant me sentir comme avant ou entrevoir tout le potentiel qu’il me reste.

Le mensonge que je m’étais dit à moi-même, c’est que ça en valait la peine. Mon mensonge, c’était que ma maladie pouvait encore être modifiée. Le mensonge que je continue à me raconter, c’est que j’ai un certain contrôle, que je peux influencer le cours des choses.

Stéroïdes, jour 12

Je trouve encore des éclats d’ampoule électrique dans des endroits inattendus.

Je suis contente que mon café ait retrouvé le bon gout du café.

Je reconnais que mon cerveau sous stéroïdes ne me dit pas toujours la vérité.

Je m’efforce très très fort de croire que je peux retrouver la force et la vitesse que j’avais il y a cinq ou six semaines.

Je me trouve chanceuse et je fais ma valise. Je vais passer le reste de ma convalescence sur une plage avec des gens qui m’aiment.

Et si je ne peux pas marcher jusqu’au bar, je pourrai compter sur l’aide d’Optimus Prime et du Banquier.

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