Jusqu’à maintenant, j’ai géré les changements provoqués par la crise de covid-19 dans ma vie, même s’ils sont embêtants. Je fais le deuil de choses dont le manque m’aurait paru catastrophique dans une autre vie. Je parle des voyages à l’étranger, des partys, des sorties au restaurant, des escapades, du travail, du temps avec mes amis ou seule avec moi-même. Bref, tout ce qui aide une fille qui a la sclérose en plaques (SP) à profiter de la vie au maximum et qui parait bien superficiel ces temps-ci. Les premiers bras dans lesquels je me jetterai quand tout ça sera terminé sont ceux de Jazmin, ma coiffeuse. Sans vouloir te vexer, maman.
L’impact du confinement sur ma SP ne pourra être mesuré que beaucoup plus tard. Je n’ai plus de physiothérapie ni de massages, le traitement médical que j’étais censée commencer a été retardé, mettant mon espoir sur la glace. Mes tentatives de jeûne ressemblent à — bien — à tout le contraire d’un jeûne.
Je travaillais déjà de la maison la plupart du temps, et pour être honnête, j’ai toujours été plutôt une fille d’intérieur, de toute façon. (La preuve: regardez mon teint.) Mais le Banquier travaille aussi de la maison maintenant. Ce qui signifie que je dois faire mon smoothie entre deux de ses réunions Zoom et que je dois me rappeler que c’est notre appartement, pas le mien.
Pour l’instant, j’ai l’impression de m’être adaptée aux grands changements et d’avoir le contrôle. Mais si avoir la SP m’a appris une chose (elle m’a appris beaucoup de choses), c’est que le contrôle n’existe pas. Le changement est inévitable et le chaos est normal.
Nous avons tous à composer avec l’incertitude à différents moments dans nos vies. Mais on n’a pas été conditionné à accepter le supplice d’être dans l’ignorance et on cherche à tout prix un sens à ce qui nous arrive. Malheureusement, l’imagination de plusieurs d’entre nous se laisse facilement entrainer sur la pente périlleuse de ce qui pourrait arriver de pire. Ils élaborent des scénarios catastrophes terrifiants.
Ce qui ne veut pas dire qu’on ne soit pas en train de vivre un scénario catastrophe en ce moment.
Ma propre expérience de l’incertitude et des élucubrations catastrophiques me vient surtout du fait que j’ai vécu toute ma vie adulte avec la sclérose en plaques. Cette maladie peut m’arrêter net, et elle l’a fait, avec des épisodes soudains de cécité et de paralysie. Ces temps-ci, quand j’écoute les nouvelles du matin pour savoir à quoi va ressembler la foutue journée, je repense à ces matins où je scannais mon corps en me réveillant. Chaque matin, je voulais savoir si j’allais être capable de marcher, de bouger mes bras ou de voir.
Parfois — pas toujours — mais parfois, mes scénarios catastrophes se réalisaient. Parfois, la pire chose que je pouvais imaginer à ce moment-là se produisait. Des trucs d’incapacité, c’est certain, mais aussi des désastres personnels comme des ruptures, des pertes d’emploi, la mort d’un proche. Je me disais merde, je ne serai jamais capable de m’en remettre. Mais je m’en remettais.
J’ai survécu à tous mes scénarios catastrophes.
Et je parie mes réserves de crémant et de Miss Vickie’s que vous avez survécu à plus d’un de vos propres scénarios catastrophes, avec ou sans SP.
Chaque fois que mon imagination s’emballe au sujet de ce que la SP me réserve, je pense aux choses vraiment difficiles auxquelles je me suis adaptée: les changements dans mon style de vie avec lesquels j’étais convaincue de ne pas pouvoir composer. Mais je l’ai fait. Savoir que j’ai réussi à terrasser ces dragons suffit en général à me convaincre que je pourrai le faire encore et encore. Et même si je ne peux pas promettre de toujours croire que je pourrai gérer ce qui va arriver, je peux au moins reconnaitre que je l’ai déjà fait, et parfois, ça peut suffire.
Si vous êtes en vie aujourd’hui, la survie est dans votre ADN. Les humains ont surmonté des épreuves incroyables depuis toujours. On peut s’adapter à des circonstances extraordinaires. Si vous avez la sclérose en plaques, vous le savez déjà mieux que bien des gens.
Vous n’êtes pas obligé de prétendre que tout cela ne vous fait pas chier. Tiens, je vais le dire pour vous: cette pandémie fait fucking chier. Et pendant que vous attendez que les choses aillent mieux, sachant qu’elles peuvent aussi se détériorer, fiez-vous à votre résilience et à votre capacité d’adaptation.
Vous pouvez faire des choses difficiles. Vous l’avez déjà fait.
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